Il n’y a ni de constitutions ni de traités autour de deux êtres qui s’aiment. Quand on a l’amour, la « Guerre Froide » n’est qu’un contexte politique. C’est assise devant le public que disait joliment la co-productrice, Ewa Puszczynska, que c’est un film qui réchauffe. Je rajouterai également que c’est un film plein de couleurs, or il a été filmé en noir et blanc, comme le précédent « Ida » du même - grand - réalisateur. Et comme le précédent, c’est la femme qui est au centre, une femme, si belle et si forte, filmée comme une œuvre d’art.
C’est la Pologne de l’après-guerre, une Pologne en pleine reconstruction, occupée par l’armée de l’Est et dirigée par des fanatiques du régime. Une Pologne envahie et sombre, formelle et obéissante, d’où le choix de l’image en noir et blanc. Les illustrations dans le film sont nombreuses: d’abord, ce fameux groupe folklorique qui, au fil du temps et des pressions, devient un groupe du régime - je garde en tête l’image du poster géant et effrayant de Staline qui s’élève aux côtés des solistes - mais il y a aussi les questions d’évasion de l’autre côté du bloc, de trahison... Tout cela pour s’effacer au fond d’une histoire bien plus universelle et importante, qui est celle de l’amour.
Et la musique prend une place bien plus importante qu’on le pense. C’est avec la musique folklorique que commence la première scène du film et se termine le générique de fin, comme si on voulait boucler la boucle. C’est une musique qui passe de génération en génération, que l’on retient et que l’on a envie de chanter. C’est une musique qui voyage aisément dans le film, contrairement aux amoureux qui sont confrontés aux risques politiques. C’est une musique qui devient un personnage à part et essentiel, comme si c’était la dernière brique nécessaire pour conclure la construction de quelque chose de solide. En l’occurrence, ce qui est solide, c’est l’amour de Wiktor et Zula. Un amour que seule la mort ne pourra séparer.
Mais c’est aussi une réalisation et une caméra parfaite qui nous donnent des frissons plein le dos. Pawlikowski n’est pas seulement un réalisateur unique, mais c’est aussi un photographe hors pair. Ce sont des images, semblables à des films documentaires ou des photographies, que nous voulons parcourir de tous les coins afin de ne pas rater un seul détail. Certaines donnent l’impression de voir un magnifique Tarkovsky et nous replongent dans une époque différente, comme si le film a réellement été tourné dans le passé. C’est une image en 4:3 et très souvent en plan fixe, qui renforcent l’idée d’une Pologne plus sombre. Un plan fixe qui passe à des plans en travellings une fois que l’ambiance devient amusante, notamment lors des concerts de jazz ou de l’apparition de Zula devant la caméra.
« Cold War », ce n’est pas nécessairement un film sur la politique, il n’y a donc pas lieu d’y réfléchir sur la logique des actes ni sur les conséquences. C’est un film d’amour, le grand amour dont on rêve tous mais qui n’arrive qu’aux plus chanceux. Heureux sont donc les amoureux !