Conclave
6.8
Conclave

Film de Edward Berger (2024)

Alors, n'ayant pas lu le roman de Robert Harris, adapté ici, je ne parlerai exclusivement que du film. Donc, je suis incapable de dire si le bouquin est aussi lamentable que le long-métrage.


Bon, la mise en scène, même si elle a une photo standard sans créativité, dans la lumière, les ombres, les contrastes, et qu'elle pâtit d'une musique n'ayant que pour fonction de signifier que le film est tendu, à tel ou tel moment, et qu'en conséquence, le spectateur doit l'être aussi, bénéficie d'une caméra qui, tout sachant profiter de l'extrême grandeur des décors (normal, c'est le Vatican, on n'a pas eu des papes complètement mégalomanes, à la Jules II ou la Léon X, pour rien !) dans lesquels évoluent nos religieux écarlates, sait régulièrement prendre le temps de mettre en avant certains détails, pour rendre le tout plus palpable. D'ailleurs, big up à celles et ceux qui se sont occupés des décors, car si on m'avait dit que l'intégralité du film avait été tourné dans le Saint-Siège, sans avoir eu recours aux studios de Cinecittà, je l'aurais cru volontiers. En outre, les comédiens, Ralph Fiennes en tête, sont excellents.


Comme le titre l'indique, l'intrigue se déroule pendant un conclave ; ce qui signifie que les cardinaux doivent se réunir et s'isoler du reste du monde pour élire un nouveau pape. La pointe de justesse, à ce niveau-là, réside dans le fait que le film souligne que même le plus exemplaire, le plus désintéressé de ces électeurs ne peut pas s'empêcher de s'imaginer portant l'habit blanc. C'est humain. À leur place, on penserait pareil.


Par contre, là où le film foire totalement, c'est pour tous les autres éléments de l'écriture.


D'abord, la narration donne l'impression que le sujet, en lui-même, ne se suffit pas pour être passionnant (ce qui est, pour moi, un tort, car un conclave, représenté avec vraisemblance, aurait pu offrir un résultat captivant !), parce que des rebondissements bien téléphonés de thriller nous sont balancés sans arrêt, à l'image, sans trop spoiler, d'un événement extérieur faisant qu'un des votes est brutalement interrompu. Quant au suspense, il réside non seulement dans l'identité du futur évêque de Rome (en toute franchise, on devine qui ce sera dès sa première apparition, c'est ultra-prévisible quand on a saisi le discours de fond !), mais aussi dans un twist-ending que je n'avais pas vu venir (pas très crédible, car l'Église a toujours eu des moyens efficaces de se tenir informé de tout !). Ah oui, alors vous allez me dire qu'une œuvre de fiction n'a pas obligatoirement vocation à être réaliste, d'accord, par contre, dans la très grande majorité des cas, vraisemblable, si. Et ma suspension consentie d'incrédulité ne trouve pas vraisemblable, connaissant l'extrême rigueur du droit canonique et de son application, le fait qu'un cardinal, inconnu de tous, puisse se pointer, comme une fleur, dans un événement aussi rigoureusement secret et codifié que le choix du prochain successeur de Saint-Pierre.


Ensuite, il est indéniable qu'à chaque élection, il y ait une frange dite "progressiste" et une autre dite "conservatrice" à s'opposer. Cependant, le film y va avec une absence de subtilité déplorable pour dégager son message de fond, à savoir que le progressisme, c'est bien, le conservatisme, c'est pas bien.


Non, un conservateur ne peut pas avoir la moindre opinion respectable, ne peut pas avoir la moindre déontologie, ne peut pas avoir la moindre décence humaine, ne peut pas être altruiste. C'est forcément un gros con, soit homophobe, soit avide de pouvoir, soit concupiscent. Et, encore, ça, c'est pour les figures les plus positives de ce côté de l'échiquier politique et religieux. Mais le pompon, le grand adversaire à abattre à tout prix, le méchant ultime du game est symbolisé par un beauf, évidemment foncièrement raciste (si vous ne l'avez pas compris une première fois, pas d'inquiétude, on va vous l'écraser à la gueule une seconde fois !), archaïque, qui cramerait de l'hérétique s'il le pouvait. Et je ne préfère pas à m'étendre sur le fait qu'une réplique semble résumer la vie de Benoît XVI (considéré, bien sûr, comme un pape conservateur !) à son passage dans les jeunesses hitlériennes. C'est facile de le blâmer pour ça, quand on n'a pas vécu soi-même, adolescent, dans l'Allemagne nazie.


Et non, un progressiste ne peut pas être une mauvaise personne. Il ne cherche que le bien commun. Le plus petit de ses gestes, dans l'exercice de son pouvoir, est guidé uniquement par la noblesse de cœur et d'esprit. C'est un pur, que dis-je, un saint. On ne devrait même pas attendre que ces personnes du camp du bien soient mortes avant de les béatifier.


C'est tellement lourdingue dans le propos que je suis même étonné que les conservateurs ne soient pas habillés en inquisiteurs du XVIe siècle et que les progressistes n'aient pas les cheveux bleus ainsi qu'un T-shirt avec un arc-en-ciel dessus. Oui, je suis outrancier, mais c'est l'image de cette œuvre. Il n'y a pas la plus petite nuance, la plus petite finesse. C'est caricatural et manichéen à donf. Et si vous voulez des interrogations profondes, d'une manière posée, d'ordre théologique, sur la foi et sur le rôle que l'Église catholique (au passage, représentant la seule religion, de nos jours, que l'on a le droit de critiquer ou de se moquer, sans risquer quoi que ce soit !) doit avoir dans la société d'aujourd'hui, clairement, allez voir ailleurs, car Conclave est trop occupé à marteler sans cesse que le conservatisme, c'est le mal absolu, et le progressisme, le bien absolu.



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le 4 déc. 2024

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Plume231

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