Conclave
6.7
Conclave

Film de Edward Berger (2024)

Conclaves, d'Edward Berger, explore un sujet aussi fascinant qu’ambigu : les coulisses d’un conclave papal, ce moment suspendu où l’Église catholique choisit son nouveau souverain pontife. Après le succès de À l’Ouest, rien de nouveau (2022), Berger continue de scruter les dynamiques de pouvoir, mais cette fois dans un cadre réduit, presque théâtral. Si le film impressionne par sa mise en scène soignée et sa profondeur thématique, il s’agit avant tout d’une œuvre réfléchie et maîtrisée, qui trouve sa force dans l’intimité qu’elle crée avec ses personnages.


L’intrigue suit les débats et affrontements entre plusieurs figures de l'Église, incarnées par un casting prestigieux, tandis qu’une tension diffuse s’installe. Le choix du huis clos, qui fait écho à des classiques comme Douze hommes en colère (Sidney Lumet, 1957), place le spectateur dans une situation d’observateur privilégié, mais parfois oppressé. Berger se montre habile dans son usage des silences et des dialogues pour rythmer ce qui, dans d’autres mains, aurait pu devenir une simple reconstitution historique. Cette approche n’est pas sans rappeler Habemus Papam de Nanni Moretti (2011), mais là où Moretti flirtait avec la satire, Berger opte pour une sobriété austère, presque ascétique. Cette retenue confère au film une densité particulière, mais elle risque aussi de laisser certains spectateurs sur le bas-côté, en quête d’un supplément d’émotion.


Visuellement, le film déploie une esthétique extrêmement travaillée. La lumière, souvent tamisée, évoque des peintures classiques comme celles du Caravage, avec ses clairs-obscurs tranchants qui amplifient le sentiment d’introspection et d’isolement. Ce choix visuel dialogue subtilement avec les thèmes du film : la lumière et l’ombre ne symbolisent pas seulement la foi et le doute, mais aussi les luttes de pouvoir cachées derrière les murs immaculés du Vatican. Chaque cadre semble pensé comme une œuvre picturale à part entière. Ici, Berger et son directeur de la photographie, James Friend, réussissent à faire du décor un personnage à part entière, pesant sur les protagonistes comme une métaphore du poids institutionnel.


Si Conclaves frappe par sa mise en scène et sa direction artistique, son écriture peut cependant paraître un peu trop académique par moments. Les dialogues, bien que souvent percutants, s’inscrivent dans un registre très littéraire, qui tranche avec la froideur des décors et des gestes. Ce décalage, bien qu’intentionnel, peut alourdir par moment le rythme pour une partie du public. Mais là encore, on peut y voir un choix cohérent avec les influences théâtrales du film, où chaque mot pèse comme une décision morale. Le scénario joue également sur une tension philosophique : comment concilier les ambitions humaines avec la spiritualité, une question qui n’est pas sans rappeler les dilemmes dostoïevskiens. Cependant, la tentative d’équilibre entre portrait individuel et fresque collective peut parfois manquer de liant.


Les performances des acteurs, enfin, apportent une grande richesse à cette œuvre complexe. Ralph Fiennes, en cardinal progressiste, impressionne par la retenue de son jeu, préférant suggérer plutôt qu’imposer. À ses côtés, Jeremy Irons campe un cardinal conservateur avec une présence magnétique, sans jamais tomber dans le manichéisme. Cette opposition de styles renforce la profondeur du film, qui évite de juger ses personnages pour mieux les présenter dans leurs contradictions. La musique de Max Richter, par ailleurs, soutient avec intelligence cette dualité, oscillant entre une sobriété minimaliste et des envolées discrètes mais marquantes.


Conclaves est une œuvre exigeante, qui s’adresse davantage à un spectateur curieux de questions philosophiques et esthétiques qu’à un amateur de récits spectaculaires. Si Edward Berger ne signe pas ici un film parfait, il livre néanmoins une proposition cohérente et subtile, qui s’inscrit dans une tradition européenne du cinéma d’auteur anglo-saxon, en résonance avec des œuvres comme La Grande Bellezza (Paolo Sorrentino, 2013) ou Le Ruban blanc (Michael Haneke, 2009). Loin de rechercher l’éblouissement immédiat, Conclaves se distingue par sa réflexion sur les institutions et l’humain, dans toute leur complexité.

Carrington
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il y a 2 jours

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