Je confesse que je suis loin d'être le dernier à me moquer du cinéma d'Eric Rohmer. En effet, une part non négligeable de ses œuvres m'emmerde, notamment par son assommant verbiage, tellement trop littéraire qu'il finit par en être emphatique et à annihiler, par sa présence sonore monotone et écrasante, toutes les autres possibilités de la mise en scène, soit par le truchement de la caméra ou soit par celui des expressions faciales et corporelles. Et même dans les films que j'avais le plus appréciés du Monsieur avant de regarder celui-là, il y avait toujours dans le décor, au moins, un ou deux acteurs à jouer désagréablement faux. Ben, pas là...
Toutes les planètes semblent s'être alignées lors du tournage, au-dessus de la Bretagne, pour que le réalisateur puisse nous offrir un pur moment de grâce avec son Conte d'été. Le moindre regard, la moindre expression, la moindre posture, la moindre intonation dégagent une multitude de sentiments qui vont droit au cœur, que l'on ressent, que l'on comprend. L'important n'est pas tant dans ce qui sort de la bouche des personnages (tous d'une grande vérité !), mais ce qui se dissimule derrière. À noter, aussi, une intro de plusieurs minutes, sans dialogue, qui parvient à nous présenter le protagoniste, qui il est, quel est son caractère, quels sont ses centres d'intérêt (d'ailleurs, ce type de prélude est une récurrence dans les Contes des quatre saisons du cinéaste !). Ah oui, autre point important, Rohmer a eu la chance de tourner son petit bijou très peu avant que les téléphones portables commencent sérieusement à entrer dans le quotidien des gens, leur donnant la possibilité de communiquer beaucoup plus facilement et beaucoup plus rapidement. Il est clair, qu'après, il n'aurait pas pu réaliser ce long-métrage, ne serait-ce que cinq ans plus tard.
Bon, autrement, d'accord, je suis breton d'origine et, d'accord, je connais comme ma poche la superbe ville de Dinard (dans laquelle se déroule la grande majorité de l'intrigue !), donc il est possible que je sois plus enthousiaste pour un Rohmer que d'habitude pour cette raison. Néanmoins, je pense savoir reconnaître une belle finesse d'écriture et d'interprétation, que ce soit à Dinard ou à Trifouilly-les-Oies.
Qui dit été, dit vacances, dit détente, dit ciel bleu et ensoleillé, sans le plus petit nuage à l'horizon, dit la plage. C'est dans ce cadre, plaisant en lui-même, que l'on suit Gaspard (à qui le jeunot, mais loin d'être débutant, Melvin Poupaud prête ses traits, avec une maladresse touchante, en dépit d'un côté tête à claques, sur lequel je vais revenir, et une maîtrise impeccable du phrasé complexe du sieur Rohmer !), étudiant en mathématiques, taciturne, veule, inconsistant, souhaitant devenir prof parce qu'il croit que cela lui permettra d'avoir plus d'heures de libre (euh, fais autre chose, mon gars !), qui va être partagé entre trois femmes...
Un quart de seconde ! C'est exactement le temps qui m'a fallu pour que je craque complètement, puissance thermonucléaire, sur la serveuse, incarnée par une pétillante Amanda Langlet. Et c'est pour cela (si je mets de côté l'intro !), que j'ai passé tout le film à m'énerver, intérieurement, sur le protagoniste qui hésite, comme un con, entre trois possibilités.
Ben, ouais, il s'emmerde avec une grognasse qui lui balance qu'elle est trop bien pour lui (l'actrice Aurélia Nolin s'en tire avec les honneurs dans le rôle très ingrat de la reine des chieuses !)... euh, non, mais quand une meuf (ou un mec !) vous chie dessus comme cela, si vous avez un minimum de dignité, vous lui rigolez au nez et vous la (ou le !) plaquez immédiatement. Mais, merde, c'est vrai, ça. Et pourquoi il fait perdre son temps à cette jeune fille, certes superbe (ce serait un euphémisme d'écrire que Gwénaëlle Simon est loin de laisser insensible et que je comprends pleinement que notre nigaud soit tenté, mais que voulez-vous, il y a Amanda… !), mais qui a ses exigences (pour le coup, pleinement légitimes et respectables !) auxquels il sait, au fond de lui, n'être pas capable de répondre. La femme parfaite est constamment sous ses yeux et cet abruti ne s'en rend pas compte (non, mais Amanda Langlet est sublime là-dedans, comment lui résister !). Sérieux, quand une employée saisonnière, travaillant dans une crêperie, vous ayant servi, parmi plusieurs centaines d'autres clients, durant la plus grosse période d'afflux touristique (donc rush sur rush !), parvient, plus tard, non seulement à vous reconnaître, mais aussi, n'hésite pas à vous aborder sur la plage, ce n'est pas pour vous proposer une promotion de 50 % sur une crêpe caramel beurre salé.
Je me répète, mais c'est une sacrée gageure de la part de Poupaud de rendre son personnage attachant, malgré tout. Ouais, tout cet énervement parce que je me suis investi dans cette histoire (signe que le résultat d'ensemble est réussi !). Ce qui a été aidé, aussi, par une saveur authentique inestimable, car filmé dans de véritables foules estivales, dans de véritables intérieurs et dans de véritables extérieurs, ces derniers caressant autant l'œil qu'Amanda Langlet (mais, non, je ne suis pas amoureux, voyons !).
En résumé, me voilà incapable de saisir qui ou quoi m'a le plus charmé. La finesse de l'écriture ? Le jeu des interprètes ? La splendeur dinardaise ? L'immense charme d'Amanda Langlet ? Peut-être, qui sait, cette délicieuse ballade, que je n'ai pas évoquée auparavant (honte sur moi !), composée pour l'occasion, Je suis une fille de corsaires ? Mais le tout réunit donne ce qui est, pour moi, le meilleur, et de loin, film d'Eric Rohmer (de ceux que j'ai déjà visionnés !). Et il a de très grandes chances de le rester.