Ryusuke Hamaguchi avec "Contes du hasard & autres fantaisies" endosse l’habit de lumière du cinéaste magicien de trois fois rien. Réalisé avant "Drive my car", avec peu de moyens, les trois contes narrés, "Magie ?", "La porte ouverte" et "Encore une fois" qui constituent le film sont autant de moments jouissifs, tant les situations sont insolites, inattendues, fantaisistes. Le fait de réaliser des contes fait immédiatement penser au cycle des quatre saisons d’Éric Rohmer, l' inspirateur. Ce qui surprend, dans ce cinéma minimaliste, souvent en huis clos, c’est ce est dit, avec une liberté de ton rarement entendue. Le long plan-séquence dans le taxi, où le paysage urbain se donne à voir par la vitre arrière, les deux personnages étant au premier plan est hypnotique. Entre les jeux de lumières de la nuit et le dialogue très sensuel et cru des deux femmes, "Magie ?" agit comme une libération de la parole féminine. L’histoire, principalement nocturne, continue par une pirouette à 180°, pour se clore sur deux possibilités de conclusion (diurnes), avec toute l’ironie du sort qu’entraîne l’une ou l’autre situation. On retrouve, un cran au-dessus cette crudité du langage dans "La porte ouverte", sorte d’arroseur arrosé, ponctué par le running gag qui consiste en une obsession du personnage masculin de vouloir garder la porte ouverte de son bureau. Là encore, la scène a lieu principalement dans un lieu unique, mais les angles de vue sont démultipliés pour donner vie à ce qui advient, une sorte de pari de séduction qui se heurte à un mur inébranlable, et ce n’est pas faute d’aller très loin… Les propos surprennent par leur grande liberté de ton, par l’érotisme explicite d’un passage du roman lu à voix haute, la porte ouverte, donc. Peut-être le conte "à morale" de la trilogie, le personnage féminin semblant, pour finir, avoir perdu pied. "Encore une fois" débute sur le mode de la fantaisie, le jeu avec les escalators, qui sera repris plusieurs fois, qui introduit une rencontre basée sur un malentendu. Ce qui n’empêche en rien les deux femmes de converser abondamment, et de finir par rejouer inlassablement la scène première de la rencontre. Les plans d’escalators sont comme un éternel retour vers l’autre, une exaltation grisante qui se termine par une course, qui n’est pas la première du film. Il faut souligner combien on s’amuse beaucoup dans ce cinéma, qu’une multitude de détails agissent dans ce sens. Extrêmement bien réalisé, tout en jeux subtils de regards, des notes de piano égrenées sur de courts instants, ce film est une jubilation.

abel79
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Mes meilleurs films vu en 2022 mais pas forcément sortis cette année et Les meilleurs films de 2022

Créée

le 6 avr. 2022

Critique lue 731 fois

abel79

Écrit par

Critique lue 731 fois

D'autres avis sur Contes du hasard et autres fantaisies

Contes du hasard et autres fantaisies
Sergent_Pepper
7

Convenance des échanges en milieu tempéré

Alors que Drive My Car a fait l’événement de l’année 2021 en France après sa présentation à Cannes, Ryūsuke Hamaguchi avait en réalité présenté quelques mois auparavant Contes du hasard à la...

le 8 avr. 2022

42 j'aime

6

Contes du hasard et autres fantaisies
EricDebarnot
8

Les jeux de l’amour et du hasard...

Il convient sans doute d’être prévenu avant de découvrir ces "Contes du Hasard et Autres Fantaisies" de Ryûsuke Hamaguchi : cet assemblage de trois films écrits et réalisés par celui qui semble bien...

le 10 avr. 2022

29 j'aime

Contes du hasard et autres fantaisies
AnneSchneider
8

Coïncidences, pour le meilleur et pour le pire…

En 1987, dans « Le Hasard », le réalisateur Krzysztof Kieslowski explorait déjà de superbe manière, en une construction tripartite, la thématique du hasard et de ses effets, parfois décisifs, sur une...

le 27 mars 2022

29 j'aime

14

Du même critique

Drive My Car
abel79
10

La voiture rouge

La montée en puissance de Ryūsuke Hamaguchi ne cesse de s'amplifier ; « Passion » était encore joliment timide, «   Senses » avait à mon goût un côté trop...

le 31 août 2021

11 j'aime

24

TÁR
abel79
5

Du goudron et des plumes

"Tàr" est la collusion ratée entre la volonté de confronter un vieux monde (une certaine notion de la musique classique) avec l’actuel, biberonné au wokisme. Cela donne, par exemple : "Je ne joue pas...

le 16 nov. 2022

8 j'aime

24

EO
abel79
10

L'oeil d'Eo

Eo est un joyau, un geste cinématographique sidérant, tant sont concentrés, dans un montage serré, des plans forts en à peine une heure vingt. Jerzy Skolimovski dit à la fin du film qu’il l’a fait...

le 29 nov. 2022

6 j'aime

18