The Conversation est un film parfaitement déroutant, qui à la manière de Blow-Up dont il est d'ailleurs fait référence dans l'ultime séquence d'introduction où le mime danse dans la rue, se concentre davantage sur son personnage principal que sur la résolution de l'énigme elle-même.
Le personnage d'Harry Caul, interprété par l'excellent Gene Hackman, ici dans la retenue constante, est un expert de la filature. Son travail, enregistrer les conversations d'individus au profit du client qui les réclame.
Si le film de Francis Ford Coppola se détache des autres films à suspense en tout genre de son époque, c'est parce qu'il n'épouse jamais le spectaculaire des rebondissements, mais au contraire, fait progressivement germer le sentiment d'angoisse, du malaise en société et bien évidemment ici, d'être manipulé.
En cela, Harry n'est jamais rassuré, il ne se sent jamais libre mais ressent le besoin constant de retenir ce qu'il ressent parce qu'il sait au fond de lui-même que si lui, peut enregistrer une conversation entre deux personnes et découvrir l'intimité d'un couple, n'importe qui peut également le faire.
Alors, il est paranoïaque, ne se fie plus à personne, quitte à vivre sa vie tel un cycle, à ouvrir les portes de manière précautionneuse, comme lorsqu'il pose le mouchard dans le sac d'un passant. Il vit dans le mensonge, prétend ne pas détenir de téléphone, ne pas détenir de choses personnelles et retient ses sentiments à l'image de la scène où il finit par quitter son amour, qui lui a posé le trop plein de questions.
Le personnage peut alors paraître paradoxal au premier abord : lorsqu'il enregistre, qu'il réécoute les pistes sonores, il n'a peur de rien, sûr de lui. Puis, une fois confronté à la société, ce n'est plus le même, il a désormais peur qu'on lui soutire ses informations personnelles, qu'on lui fasse ce que lui fait aux autres.
La situation dans laquelle il se retrouve l'amène à questionner son rapport à son travail. Pourquoi enregistrer ces personnes, et surtout pourquoi suis-je incapable de nouer une relation avec l'autre ?
Le nom du personnage "Caul" est frappant de sens, il est celui que l'on appelle, qui entend l'autre mais qui n'écoute pas.
La clé du film, c'est celle-là. Si seulement Harry avait tendu davantage l'oreille, il aurait remarqué la supercherie de l'entreprise dirigée
non pas par le directeur, mais par l'assistant.
Harry n'écoute pas plus l'autre que cela, tout simplement parce que la société ne lui permet pas d'accorder sa confiance pour un seul moment. Dès lors qu'il le fait, le mouchard se fait moucher.
Il est notamment victime d'une blague, où l'on a pu l'enregistrer à son insu, une affaire qui le concernait justement tout personnellement : l'amour qu'il ressent pour la jeune femme qu'il ne revoit désormais plus, à qui il n'a jamais osé confesser ce qu'il ressentait véritablement de peur que cela lui porte préjudice.
De la même manière, la simulation du couple laissant paraître un effroi simulé dans le parc est bien révélatrice, se moquer d'un sans-abri puis le dissimuler en se disant qu'il a pu être aimé un jour par ses parents.
C'est la société toute entière qui manipule alors l'information, fait preuve d'un cynisme sans équivalent et manque cruellement de sincérité.
Harry est sincère, il est amoureux de la jeune femme, il est même passionné lorsqu'il joue du saxophone dans son appartement.
Mais on ne lui a jamais laissé l'opportunité de vivre à son rythme.
Le thème musical en lui-même, composé par David Shire, ne cesse de rattraper le personnage. Même lorsqu'il joue du saxophone, lui permettant de s'exprimer librement, la musique est en avance. Il se doit d'essayer de rattraper le rythme, la cadence.
La conversation entendue était une machination, que n'a pas su parfaitement écouter, Harry Caul. Il découvrira, comme pour la précédente affaire pour laquelle il avait travaillé, résultant également sur un meurtre, que la société américaine cherche à étouffer la vérité.
Paralysé des bras et jambes enfant alors que sa mère remplissait le bain d'eau chaude, il n'a en réalité jamais réussi à remonter à la surface.
Il est d'ailleurs tout à fait intéressant de remarquer que le protagoniste échappe presque toujours, concrètement au cadre, il n'est jamais au centre de l'image, et c'est la caméra elle-même qui tente de le rattraper par moments, à l'image de ces panoramiques à répétition.
Le rêve du personnage, dialoguant avec la prétendue victime, est bouleversant : il s'agit d'un dialogue de sourds, puisqu'Harry tente de s'excuser, alors même qu'il est la victime d'une machination dont il n'a pas la connaissance. La technique du champ-contrechamp, la lumière brumeuse couvrant les silhouettes des personnages permet d'exprimer toute la distance qui sépare Harry de la Vérité.
Conversation Secrète est le récit d'un homme passionné, en incapacité de vivre sainement psychologiquement.
C'est l'histoire d'une Amérique victime de ses propres jeux, alors que le scandale du Watergate approche à grands pas.
Mais l'espoir reste présent, si l'on ne lui permettra pas de déclarer la vérité sur la conversation secrète, Harry ne cessera pas cette fois-ci de jouer de son saxophone ;micro ou pas. Il aura encore pour lui, toute la sincérité de l'amour qu'il éprouve pour la chose qui lui tient tant à cœur.