Conversation secrète est un film moyennement prenant en tant que thriller, mais dont la personnalité surgit ailleurs. Dans l'importance du son par exemple : les bruits saturés en forme de puzzles à reconstituer, les sonneries de téléphone suspectes... L'absence de son aussi, dans les non-dits de ce héros taiseux ou le silence d'une chambre d'hôtel avant la tempête. Enfin, la musique comme seule échappatoire.
On remarque en parallèle que San Francisco n'est pas magnifiée une seule fois comme décor. Reste une ville anonyme aux bâtiments impersonnels, peuplée de foule anonymes elles aussi. Une ville ressentie à travers ces limiers planqués dans des camions. Ambiance de jungle sonore où les oreilles priment sur les yeux.


Dommage que l'"enquête" pantoufle un peu, alors que le thème se mariait bien avec une intrigue à tiroirs. La filature sonore est l'occasion d'un excellente scène d'ouverture, réalisée habilement et teintée de mystère, et c'est dommage de ne pas lui avoir donné une petite soeur à déchiffrer aussi. Bien sûr on est dans de l'espionnage d'ingénieur dégarni et sa demoiselle ne tient pas vraiment de la James Bond Girl, mais même dans ce contexte il était possible d'installer un chouia plus de tension (sans demander des course-poursuites en SUV ou la foire annuelle de l'uzi). Coppola a voulu se concentrer sur les états d'âme d'Harry, pourtant d'autres moments purement polar auraient justement pu nourrir les tourments du personnage.


Les seconds rôles sont peu étoffés (John Cazale sous-utilisé et un couple qui restera des sortes de Monsieur A et Madame B), mais Gene Hackman excelle en amateur de jazz taciturne et obsédé du contrôle, dont la paranoïa fournit le thème le plus intéressant du film. Méticuleusement, le film sème les indices d'une déformation professionnelle, à travers les barrières physiques et sociales que cet homme a placé entre lui et les autres. Avec en paroxysme cette puissante scène finale, où l'orgueil du spécialiste est touché et les repères s'effondrent.


(Moi j'aurais juste répondu "J'espère que t'aimes le sax', connard")

VilCoyote
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Le plan large au cinéma

Créée

le 16 janv. 2013

Critique lue 974 fois

21 j'aime

2 commentaires

VilCoyote

Écrit par

Critique lue 974 fois

21
2

D'autres avis sur Conversation secrète

Conversation secrète
Alexis_Bourdesien
9

L'écouteur écouté (?)

Il est amusant de constater la différence qu’il peut exister entre deux œuvres qui se suivent d’un même réalisateur. Ici Francis Ford Coppola semble passer du coq à l’âne, en réalisant Conversation...

le 29 oct. 2014

84 j'aime

3

Conversation secrète
DjeeVanCleef
10

The Wire

Dans l'étrange ballet qu'est la scène d'ouverture de «The Conversation», Francis Coppola présente Harry Caul dans son quotidien, noyé dans la masse, anonyme sur cette place de San Francisco qui...

le 1 sept. 2015

66 j'aime

7

Conversation secrète
Val_Cancun
6

A lil' less conversation, a lil' more action

La Palme d'or cannoise de 1974 s'avère une légère déception à mes yeux, en raison notamment de son rythme neurasthénique. Pourtant, ce thriller psychologique aux accents de drame intimiste ne manque...

le 18 mai 2015

34 j'aime

10

Du même critique

Berlin Alexanderplatz
VilCoyote
8

Berlin désenchanteur

Dans ce Berlin des années 20, aucune trace de hipsters à moustache. L'ambiance est plutôt Oktoberfest, un bar tous les trois mètres, bières, schnaps et cochonaille à foison. Au milieu de tout ça le...

le 15 avr. 2013

81 j'aime

6

Aguirre - La colère de Dieu
VilCoyote
5

C'est pas le Pérou

Là j'avoues que je me gratte le casque avec circonspection. Une déception, surtout après cette superbe ouverture à flanc de montagne brumeuse, musique sépulcrale en fond sonore, où les hommes...

le 5 mai 2014

69 j'aime

12

À bout de souffle
VilCoyote
9

Si vous n'aimez pas la mer... si vous n'aimez pas la montagne... si vous n'aimez pas ce film...

...allez en paix, mais vous êtes bizarres quand même. Les gens qui ne peuvent pas encadrer Godard diront toujours de lui que c'est un poseur prétentieux, mais ici il n'y a rien de tel à mon sens. A...

le 26 oct. 2015

48 j'aime

3