"La vieillesse est un naufrage !", pour reprendre une citation des Mémoires du grand Charles. Évidemment, comme dans le cadre de l'autobiographie de de Gaulle, ne faisant qu’allusion à Pétain, ce n'est pas une généralité que j'expose. Pour moi, dans cette critique, elle s'applique uniquement aux cas de Woody Allen et de Vittorio Storaro.
Pour celles et ceux qui ne sauraient pas qui est ce dernier, ben, c'est le directeur de la photographie du film. Et ce n'est pas n'importe qui, le Monsieur. C'est à lui que l'on doit les visuels époustouflants des plus beaux Bertolucci (Le Conformiste, 1900 ou encore Le Dernier Empereur !) et, sommet absolu de sa longue carrière, il a marqué grave les mirettes avec Apocalypse Now de Francis Ford Coppola. Franchement, c'était un niveau de ouf à l'origine. Ce qui fait que le contraste n'en est que plus fracassant et désespérant avec ce que l'on a ici.
Déjà, par rapport à la bonne vieille péloche, le numérique, le plus souvent (quand on a affaire à un technicien sans talent ou devenu paresseux !), ce n'est pas terrible. C'est lisse, c'est sans contrastes. Depuis les années 2010, Woody Allen n'en a vraiment plus rien à foutre de l'image. Ce n'est pas nouveau chez lui. Mais, là, bordel... Storaro ne trouve pas mieux d'employer, à l’excès, comme sources de lumière, lors des séquences en intérieur, des éclairages de logement sans cesse allumés, y compris en plein jour (je sais que les personnages du réalisateur font partie des 1 % de la population française à ne pas se soucier de leur échéancier d'électricité, mais quand même… !). Ce qui a pour résultat d'oranger, en tirant vers le jaune, les gueules des comédiens (Allen et Storaro avaient pour ambition d'en faire des sosies de Donald Trump ou quoi ?). C'est hideux à regarder.
Tiens, à propos des comédiens justement, un réalisateur, ne maîtrisant pas du tout la langue utilisée dans son film, a peu de chance de pouvoir bien diriger ses interprètes. Déjà, il ne peut pas percevoir si ses dialogues sonnent faux ou naturels, ne sont pas trop lourdauds par leur côté explicatif, étant donné qu'il ne connaît pas les subtilités de la langue en question. Ensuite, dans cette même optique, il ne connaît pas non plus les légères modulations vocales, expressives ou de posture auxquels un acteur francophone bien dirigé peut avoir recours pour transmettre un sentiment à un moment donné. Ce qui a pour conséquence le risque de se noyer dans le surjeu. Woody Allen marche en plein dedans et pas du pied gauche. Le casting, aussi prestigieux soit-il dans le paysage du septième art hexagonal, sûrement trop aveuglé d'être flatté d'être dirigé par le cinéaste de Manhattan, n'a pas la possibilité de rattraper les dégâts (ou alors, les membres de la distribution étaient pleinement conscients de tourner dans une merde, mais ils n’ont pas voulu passer à côté, malgré tout, d’une occasion unique de jouer sous la direction du réalisateur ; ce qui est plus que compréhensible !). Bon, au moins, la sexy Lou de Laâge porte à merveille les pulls avec un col roulé. De toute façon, elle porterait un sac-poubelle sur elle, en guise de robe, cela passerait pour du Chanel (non, je n’ai pas le béguin pour elle !).
L'intrigue, quant à elle, prévisible, ne se distinguant pas de celle d'un téléfilm de l'après-midi sur M6, elle n'est en rien transcendée par la moindre qualité de mise de scène puisque, bien sûr, il n'y en a pas. Et il faut ajouter que bien que ça parle d'adultère, de meurtres (cela aurait pu évoquer aussi l'emprise dans le couple, mais Allen en a autant quelque chose à péter que pour sa photographie !), le réalisateur nous met une BO jazzy pépère, qu’on écouterait plutôt pour se détendre, qui achève de trucider toute tension potentielle (déjà bien handicapée puissance 10000 par les gravissimes défauts susmentionnés !). Quand on voit (et entend !), dans un passé pas si lointain, avec quelle maestria, il avait su placer des morceaux d'opéra pour accentuer l'aspect tragique de Match Point ou engager (contre ses habitudes !) spécialement un compositeur, en l'occurrence l'immense Philip Glass, pour rendre encore plus angoissant le suspense du Rêve de Cassandre, je suis désolé, mais je me sens obligé de parler de naufrage en ce qui concerne Woody Allen.
Résultat, ce n'est pas un Coup de chance, c'est une purge, une purge allénienne. Oui, même si l'artiste avait perdu de sa superbe depuis les années 2010, je ne pensais jamais que j'aurais accolé ces deux termes, jadis si antinomiques, l'un à côté de l'autre. Maintenant, c'est fait.