1938.A la veille de la Deuxième Guerre Mondiale,le débonnaire Lucien Cordier est un policier en poste dans une petite ville de l'Afrique Occidentale Française.Lâche et fainéant,il est la risée de toute la population,dont les membres les plus influents s'amusent à l'humilier quotidiennement.Mais trop c'est trop et un jour Cordier réalise qu'il est armé et qu'il est le seul représentant de la Loi sur place,ce qui lui laisse beaucoup de latitude pour régler ses comptes.Le grand ménage peut commencer.Réalisateur et scénariste du film,Bertrand Tavernier adapte ici un grand polar noir américain,le "1275 âmes" de Jim Thompson,en le transposant dans le contexte de la France coloniale.Fidèle à son amour du vieux ciné français,il a coécrit le script avec une figure mythique de la spécialité,Jean Aurenche,78 ans à l'époque,qui a formé avec Pierre Bost un duo d'auteurs vedette des années 40 à 60.Dans le même ordre d'idée il a confié les décors au grand Alexandre Trauner,qui avait lui 75 ans.Tavernier filme bien,ses scènes s'enchaînent harmonieusement et il maîtrise parfaitement un récit au délicieux ton tragi-comique.Il s'appuie de plus sur une équipe technique de rêve comprenant notamment l'opérateur Pierre-William Glenn,dont la photo chaude et cuivrée met en valeur les faramineux décors en mode rococo délabré de Trauner,tandis que Philippe Sarde signe une musique mi-ironique mi-sérieuse collant bien aux images.Sur le fond,le gauchisant Tavernier se livre à une critique facile de l'époque coloniale,s'attardant à loisir sur les dysfonctionnements du système en en ignorant totalement les aspects positifs.On a l'impression qu'il s'est inspiré du méga tube de Sardou "Le temps des colonies",sorti cinq ans plus tôt et qui brocardait joyeusement les mentalités des colons français.Il était d'ailleurs question du même lieu dans la chanson:"les guerriers m'appelaient grand chef,au temps glorieux de l'AOF".Heureusement tout ça n'est finalement qu'un cadre commode et le coeur du film est ailleurs,dans la révolte individuelle de l'homme brimé face à une société n'aimant rien tant que martyriser les faibles,ce qui était le sujet du roman de Thompson.Du coup l'oeuvre nous régale d'une savoureuse galerie de portraits de salopards en tout genre,à commencer par le veule Cordier,un brave type qui s'est toujours laissé faire par tout le monde et qui prend soudainement conscience de son pouvoir de nuisance.On peut voir ça comme une allégorie du processus révolutionnaire car à l'échelle d'un peuple ça donne le même résultat quand les faibles se rebiffent contre les forts.La comparaison fonctionne jusque dans les excès de la révolution,Cordier se sentant subitement puissant n'hésite pas à abuser de ce nouveau pouvoir qui le grise.Il est possible d'y voir également la métaphore des futures guerres d'indépendance africaines qui mettront fin au colonialisme.Cette histoire est portée par une distribution magistrale comprenant des pointures jusque dans les rôles secondaires.Philippe Noiret,pas toujours inspiré,est ici monstrueux en pauvre mec lancé à fond dans un trip revanchard.Cauteleux et manipulateur,il dévisse petit à petit et se transforme progressivement en fumier qui ne vaut au final pas mieux que ses tourmenteurs.Parlons-en,de ceux-là.Il y a Stéphane Audran,détestable à souhait en virago domestique et épouse infidèle qui va jusqu'à héberger à domicile son amant qu'elle prétend être son frère,une sorte de demeuré incarné par un Eddy Mitchell magnifique dans son premier vrai rôle au cinéma.Il y a le duo de souteneurs formé de Jean-Pierre Marielle et Gérard Hernandez,irrésistibles en imbéciles contents d'eux.Et puis l'immense Guy Marchand en flic qui se croit malin avant de se faire piéger comme un con par le madré Cordier.Et puis encore Michel Beaune en notable local qui nargue le policier avec ses toilettes publiques situées sous ses fenêtres et Victor Garrivier en brute épaisse et colon cocu.Sa femme est la divine Isabelle Huppert,sexy à bloc en épouse battue et maîtresse du flic.On l'avait déjà vue chez Tavernier et au côté de Noiret dans "Le juge et l'assassin".Jean Champion en curé pète-sec et François Perrot en colonel à l'ouest sont aussi de la partie.Seule fausse note,il en faut bien une,la présence d'Irène Skobline,bien faible en institutrice tombant amoureuse de notre justicier.Elle ne fera du reste pas carrière,ne tournant que deux Rohmer en plus de "Coup de torchon".Notes et critiques de films de Bertrand Tavernier publiées précédemment:"Quai d'Orsay"-7,"Capitaine Conan"-8,"Que la fête commence"-10.Moyenne:8,5.