Adaptation difficile d'un roman du romancier américain Jim Thompson (que je ne vais pas prétendre avoir eu connaissance avant de visionner le film et les interviews de Tavernier), Coup de Torchon a cette part de métaphysique qui caractérise un Sorcerer de Friedkin.
Un chaleur plombante, une humanité reculée, oubliée, qui retourne à ses instincts de prédation, abjecte.
Que Tavernier et son scénariste troquent l'americana originale pour une Afrique coloniale avant guerre est en soit déjà un tour de force.
Cette relation à l'espace, et à l'autre par une suprématie écrasante : militaire, industrielle, sociale, illégale, reléguant les autochtones au rang de proies, figurants que l'on exploite, que l'on bat, que l'on ignore.
Lucien est paumé. Médiocre, fainéant, il est sans doute arrivé plein d'espoirs mais il est aujourd'hui résigné. Fermer les yeux et traîner sa carcasse coiffée d'un chapeau ramolli est devenu sa seconde nature.
Il cultive cette image d'idiot inutile pour qu'on lui foute la paix, même si pour se faire il doit subir des humiliations quotidiennes de la part d'à peu près tous les babtous du coin.
Pourtant Lucien est loin d'être aussi con. Quand il se sent investi d'une mission divine, notre ange exterminateur profite de sa réputation d’inoffensif pour lancer une grande entreprise de dératisation.
Est-il abruti, fou ou parfaitement lucide ? On ne le saura pas. Lucien reste un mystère pour le spectateur, insaisissable, monstrueux, brisé.
Lunaire, Noiret le campe de façon impeccable.
Le reste du casting (fichtrement impressionnant) est au diapason pour camper ces remarquables salopards.
Hupert, Marielle, Audran, Mitchel, Marielle, Hernandez, Marchand, Champion, excellent tous dans leurs rôles respectifs et dans cette brutalité absurde dont résulte une quantité de gags que n'aurait pas renié un certain Blier (que Tavernier voulait à l'écriture).
Une galerie de médiocres, réduits à des instincts animaux, loin, si loin de la morale.
Et bon sang, je n'ai même pas abordé la BO ni les plans d'ouverture et fermeture du film, qui achèvent le basculement dans une dimension méchante, idiote mais terriblement familière.
Côté réal pure, il y a des efforts de composition à plans multiples à de nombreuses reprise, les scènes en extérieur sont toutes au steadycam et même les intérieurs, de prime abord statiques, se font bousculer par les valses étranges des personnages.
Alors ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit : on reste loin d'un Fincher, forcément.
Pour aller plus loin, deux interviews intéressantes concernant le film :
- Un bonus DVD rippé (shame) : https://www.youtube.com/watch?v=ROtZGX0mBtg
- Un docu Arte : https://www.youtube.com/watch?v=wvdYH4fTlnM