Déjà une vingtaine d'années plus tôt, le cinéma français s'était attelé à adapter le pavé littéraire de Dostoïevski, par l'intermédiaire du réalisateur Pierre Chenal, avec Pierre Blanchar et Harry Baur dans les rôles principaux.
Georges Lampin choisit quant à lui de transposer le célèbre roman russe dans la France contemporaine, Raskolnikov devenant ainsi René Brunel, le juge Porphyre cédant la place au commissaire Gallet, et ainsi de suite... tandis que l'intrigue, certes simplifiée, demeure fidèle au matériau originel.
Cette version de "Crime et châtiment" est une belle réussite, même si le film souffre d'un manque d'homogénéité entre sa première partie, qui s'apparente à un polar/film noir assez classique, et sa seconde moitié qui met clairement l'accent sur la psychologie et les tourments métaphysiques du héros.
La principale force de cette adaptation réside dans sa distribution de premier choix, chacun jouant sa partition avec talent et conviction, tant les vieilles gloires que les jeunes vedettes.
Robert Hossein se révèle ainsi un excellent choix dans le rôle de cet étudiant fier et ombrageux, fiévreux et caractériel. En face, il fallait un acteur de la trempe de Gabin pour donner du poids à l'affrontement impitoyable que se livrent le commissaire et son suspect.
Outre ses origines russes, le visage poupin de Marina Vlady sied parfaitement au personnage de Lili, la prostituée à la foi inébranlable, tandis que Bernard Blier se régale dans le rôle du cauteleux Monestier (même si on l'a déjà connu plus irrésistible dans ce registre).
Les multiples seconds rôles se montrent au diapason, à l'image de Lino Ventura, impeccable en bistrotier fier et loyal, ou de Gabrielle Fontan, parfaite en vieille usurière avare.
Soulignons encore l'impressionnant numéro de Carette en alcoolo pathétique, et le joli couple formé par les jeunes Gérard Blain et Ulla Jacobsson.
Les décors de Paul Bertrand apportent également une valeur ajoutée : misère des ruelles lyonnaises ceintes de bâtiments vétustes ; atmosphère nocturne des quais du Rhône, territoire des filles de joie ; ambiance chaleureuse du petit bistrot de quartier, où chacun s'appelle par son prénom...
Georges Lampin signe donc une adaptation un peu scolaire mais fort plaisante du plus illustre roman russe, lui qui naquit à Saint-Pétersbourg et avait choisi d'adapter Dostoïevski dès son premier long-métrage ("L'idiot", sorti en 1946).