Ne vous laissez pas abuser par le dessin de l’affiche, gracieux, fleuri et tout en rondeur, Dans un recoin de ce monde est une œuvre grave. Par le regard et les souvenirs de Suzu, une jeune fille douce, serviable et gentiment tête en l’air, le spectateur se trouve confronté à un mariage forcé, puis à la guerre, aux pénuries et aux décès de proches, à la blessure et à la culpabilité. Cœurs sensibles, vous voici prévenus.
Sunao Katabuchi adapte un manga de la dessinatrice Fumiyo Kouno. Diabolique, le scénario conjugue les ellipses, les rêveries et les incompréhensions d’une jeune fille étourdie, mais bienveillante, à une recherche de véracité qui confine au documentaire. La militarisation de société japonaise des années 30 et 40 est parfaitement reproduite. Suzu nait à Hiroshima. Par son mariage, elle s’installe à Kure, face à la base navale. La ville ne vit que par et pour la Marine impériale, orgueil du régime. Son mari est greffier à l’amirauté, son beau-père ingénieur naval, son frère et son ami d’enfance marins. Les enfants observent les va-et-vient des cuirassés et porte-avions. Suzu contemple, réinterprète et dessine. Sous sa plume enchantée, l’écume des vagues se métamorphose en lapins bondissants, les explosions en floraisons inoffensives et les lourds vaisseaux de guerre en barques solaires.
Mariée trop jeune est sans amour, elle s’attache à son mari. Mal accueillie par sa brutale belle-sœur, elle parvient à se faire apprécier. Mais, la guerre approche. Les avions ennemis multiplient leurs incursions et les bombes ne tardent pas à pleuvoir. Les croiseurs se font rares, tandis que les lapidaires avis de décès se multiplient. Si rien ne nous est épargné, la mort frappe souvent hors champ.
Le dessin de Sunao Katabuchi pourra déconcerter. La naïveté des traits de ses personnages ne leur épargne pas la cruauté de l’Histoire. L’animation simpliste est la résultante d’un budget serré. Les producteurs nippons refusèrent le script, et seul un appel réussi au crowdfunding parvint à surmonter leurs réticences.
Le résultat est somptueux. Venez et pleurez sur le destin de Suzu qui, dans une dernière scène déchirante, semble adopter une enfant perdue.