Ayant lu quelques critiques, il me semble qu'on n'accorde pas assez de place dans ce film à la musique. C'est elle qui change la vie toute tracée sur de mauvais rails du personnage ( superbement interprété par Duris, à son meilleur). Certains y ont vu un manichéïsme simplet, bien au contraire. J'y vois un transfert de violence subtilement filmé. Petite frappe sans aucune conscience morale, le personnage s'étourdit, casque sur les oreilles, de musique techno; il s'abrutit, comble le vide intérieur laissé par une enfance difficile entre des parents qui ne s'entendent pas, un père autoritaire et médiocre et la mort prématurée d'une mère qu'il a méconnue. La confrontation avec la musique du sens et de l'intériorité, en l'occurrence la Toccata en mi mineur de Bach, va le réconcilier avec lui-même. La violence qu'il exerce dans ses activités devra là être difficilement canalisée; l'énergie qu'il met à gagner de l'argent facile va devoir se confronter à la difficile interprétation d'une oeuvre. Son professeur de piano chinois ne cesse de lui montrer que s'il se crispe à vouloir tout avoir tout de suite, s'il reste dans l'extériorité, l'apparence, s'il n'arrive pas à contrôler sa force, il n'arrivera à rien. L'idée géniale d'Audiard est d'avoir mis en scène ces scènes muettes où la musique remplace les dialogues. Il conservera sa violence comme le prouve la scène où il se bat avec l'assassin de son père, mais sera définitivement changé en se rendant compte qu'il ne peut plus tuer et en se faisant le chevalier servant de sa prof devenue concertiste. Il a compris qu'il n'était pas un artiste, qu'il cherchait peut-être son passé, sa mère et la gloire alors que la musique demande une humilité qu'il n'avait pas; il est devenu adulte, enfin, ayant tué le père. La violence persiste, certes, en témoigne la musique du générique final, mais il a surmonté ses tares, s'est enfin réalisé, a sauvé sa vie. Histoire de rédemption magnifique où le mal est transcendé, écrasé par son ridicule dans la très belle et forte scène où des locataires pauvres sont violentés et humiliés au son de The Locomotion. Un film d'une grande subtilité traité avec violence et dureté. Du grand art.
Et le plus beau rôle de Duris qui, ces dernières années, a tendance à s'égarer...