Que se cache-t-il sous ce titre dickensien ? Ben, l'histoire de deux jeunes gens brillants, s'aimant d'amour tendre, bouillonnant d'idéalisme, qui veulent changer le monde. Et pour remplir cet objectif noble, quoi de mieux que d'envisager d'entrer en politique. Et pour s'aider, quoi de mieux que d'essayer d'intégrer la fabrique à crétins déconnectés des réalités... euh... pardon... la fabrique de la glorieuse élite de la nation qu'est l'ENA (Macron n'avait pas encore changé l'emballage !) ? Bon, on se doute bien que c'est le monde qui va les changer. Et il ne va pas prendre son temps pour le faire. Dans cette optique, il va agir brutalement, par surprise, au détour d'une route corse, sous un beau soleil estival...
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De grandes espérances est un thriller qui parvient d'une manière assez équilibrée à alterner ou à conjuguer des scènes de la vie politique (lors desquelles, on se doit de crier, en utilisant tous les moyens à disposition, haro sur un rival pour le détruire et, le cas échéant, prendre sa place !) avec des séquences intimistes, aussi bien, les unes que les autres, d'une grande justesse. Et pour réussir à survivre dans un milieu carnassier, il faut savoir ployer, mais ne pas se rompre. Reste à savoir si notre protagoniste, jeune femme pleine de vie et de volonté, aux convictions sincères et affirmées, sera comme le roseau de la fable. Oui, en effet, on suit le personnage féminin du couple du début jusqu'à la fin. Et il va en subir des temps difficiles, des épreuves, venant principalement de son boulet d'ex tête à claques, avec qui elle vit des relations tanguant sans cesse entre l'attirance et la répulsion.
Alors... oui, on suit le personnage féminin et, à travers ses tourments, ses problèmes, on sympathise inévitablement avec elle. On a envie qu'elle s'en sorte. Pour cette raison, on devient aussi cynique que l'atmosphère ambiante. On est envahi par la jouissance de l'immoralité. Adopter un point de vue spécifique contribue fortement à l'empathie. Et de tout cela, on se pose une question précise : est-ce qu'on a la légitimité de rendre les choses meilleures si on a les mains sales ?
Bon, au-delà de la réponse évidente que les meilleurs dirigeants de l'Histoire, à qui on doit des faits extrêmement positifs, étaient loin d'être des enfants de chœur, si notre personnage principal n'avait été qu'une silhouette lointaine dans le film, que l'on ne connaît que par l'intermédiaire des divers médias, on aurait sorti les fourches et les torches. Mais comme on la suit constamment, on sait qui c'est, on sait ce qu'elle ressent, pourquoi elle a commis tel acte à un moment donné. Sans parler qu'elle n'est pas née avec une cuillère en argent dans la bouche. En conséquence, c'est "fonce, ma fille, et défonce-les bien !". On la soutient comme on soutiendrait un Rastignac chez Balzac.
Tiens, celui qui joue l'enflure de ministre du Travail, faux-cul, médiocre, durant l'effervescent échange tendu dans l'usine (un petit bijou de maîtrise à signaler !), est vraiment un excellent comédien... comment s'appelle-t-il ? Thomas Thévenoud... le même Thévenoud, secrétaire d'État sous Hollande, condamné pour fraude fiscale… ? ... mdr... Franchement, il n'y aurait pas pu y avoir un choix plus pertinent pour incarner le rôle de cette enflure... Il devrait se reconvertir définitivement dans le cinéma. Il a toute l'expérience que cela exige.
Autrement, bien entourée par tout le reste de la distribution (avec deux mentions spéciales pour Benjamin Lavernhe, en ex-petit ami manipulateur, pleutre et ingrat, et Emmanuelle Bercot, pleine d'autorité et de prestance, en Pygmalion bienveillant !), Rebecca Marder en impose par son charisme, sa beauté et son talent, en portant avec brio toute la complexité de son personnage. Sans elle, ce film intéressant aurait perdu de son intérêt.
Pour conclure, s'il faut souligner que la mise en scène ne se fatigue pas à chercher la moindre once de créativité ou d'originalité, heureusement que le scénario ainsi que les interprètes assurent pleinement en ce qui concerne la qualité du spectacle.