Qu'importe que la MGM ait eu le dernier mot face aux velléités pacifistes de Brian Hutton et Eastwood. En s'arrogeant le final cut, James Aubrey, alors fraîchement intronisé à la tête de la major, a peut-être défiguré les intentions originelles affichées par le scénario de Troy Martin. Mais au moins a-t-il su garder (involontairement ?) la main suffisamment leste pour que "Kelly's Heroes" garde tout son panache de divertissement 4 étoiles sans perdre la totalité de son sous-texte subversif.
En l'état, le film reste suffisamment dense et ambivalent. Sous le masque d'une comédie d'aventures diablement efficace et spectaculaire, Hutton tire les codes du film d'escouade vers un hommage big size au western spaghetti. Et même par à coups, la satire immorale subsiste bel et bien au coeur de "Kelly's Heroes". Parce que les motivations des héros n'ont rien de glorieux, parce que les troupes US y sont embourbées dans un merdier incompréhensible, parce que ses généraux s'y prélassent à l'ombre, et parce que le montage de la séquence finale est un sacré majeur dressé face au mythe des Américains libérateurs, sauveurs de la veuve et de l'orphelin français.
Cela dit, "Kelly's Heroes" provoque avant tout un plaisir brut et décomplexé de cinéphile. Hutton convie une orgie de gueules sculptées au marteau-piqueur et de talents comiques à se rouler par terre. A tel point que Clint himself, pourtant impeccable, se fait marcher dessus à maintes reprises par ses comparses. Ses échanges de regards avec le génial Donald Sutherland sont aussi hilarants que blessants pour Eastwood qui passe presque pour un gringalet psychorigide face au dandysme irrésistible de son partenaire à l'écran. On peut aussi citer Telly Savalas qui tente de maintenir un peu d'ordre, Don Rickles aussi roublard que chouineur, Carroll O'Connor qui fait un excellent Napoléon yankee, et même le jeune Len Lesser qui deviendra plus tard l'impayable Uncle Leo de "Seinfeld".
Il ne sera ici jamais question de franche camaraderie ou de faux états d'âme. "Kelly's Heroes" est profondément ancré dans son époque : dans une guerre qui ne concerne pas ceux qui la font (à mettre en parallèle avec la contestation du conflit vietnamien...), on ne se bat plus pour des idéaux, mais pour le tout-puissant dollar. Le travail en équipe n'est plus une fin en soi mais un moyen pour atteindre le bonheur personnel et matériel. Une vision singulière donc, presque nihiliste, dans un style radicalement différent des films de guerre qui suivront jusqu'à la fin des 70's, et qui a probablement plus qu'inspiré le "Three Kings" de David O. Russell.