Le film dure 9 heures, je l'ai vu jusqu'au bout sans trop de déplaisir, en quatre fois. J'ai même trouvé certains moments très beaux. L'idée de départ est magnifique : une éruption a eu lieu, un village a été enseveli par un lahar, certaines personnes n'ont pas été retrouvées mais on sait qu'elles sont mortes, et un homme revient dans ce village où il a grandi, il retrouve ses amis qui ont survécu, il marche sur le toit de l'atelier où il tentait d'être un artiste autrefois, il apprend ce qui est arrivé à sa mère, et il devient fou. C'est parfait. Ce qui est encore plus parfait, c'est qu'il retrouve deux amis : un homme, une femme. L'homme écrivait mais il a tout arrêté ; la femme est peintre et sculptrice, elle vit au pied du volcan, elle sculpte les pierres du volcan, et c'est un acte politique : habiter ce monde malgré la menace, défier la nature, défier toutes les violences. Et lui, celui qui revient, il est un poète assez renommé, et il a obtenu une bourse pour voyager en Europe, puis en Russie. Leurs conversations, sur la nature politique de l'art, sur les raisons de continuer ou d'arrêter de créer, sont très belles. Ce qui est encore plus beau, ce sont leurs rapports. Tous les enjeux (sexuels, amoureux ou de jalousie) ont déjà eu lieu. Ils sont trop vieux pour faire un nouveau drame. Le seul enjeu réel, c'est de savoir ce qu'on fait là, sur cette terre, et précisément sur ce morceau de terre, où la nature est si terrible, et la politique si corrompue et menaçante.
Voilà ce que j'ai beaucoup aimé. Le temps très étiré de certaines scènes donne une certaine ampleur, c'est vrai, à cette dimension existentielle du récit. J'aime beaucoup la séquence, par exemple, où les trois amis entament l'ascension du volcan, puis à mi-chemin renoncent, à cause de la pluie qui vient et de la menace d'une nouvelle coulée toujours présente. Il y a comme ça des idées étonnantes, des intuitions qui créent de vrais moments de cinéma. Mais les corps sont absents. Les paysages existent, Lav Diaz sait les filmer, donner à voir leur âme, leur atmosphère, leur émotion, mais les corps des acteurs sont mous, s'ennuient, semblent avoir été disposés dans un coin du cadre et abandonnés, livrés à eux-mêmes. Ca pourrait donner quelque chose, tous ces gens livrés à eux-mêmes, sauf qu'on voit bien que les acteurs manquent d'appui, voire d'entrain. Ils font des gestes tout petits dans des scènes trop longues. Et ils les répètent à l'infini parce qu'ils n'ont plus d'idée et qu'ils doivent quand même fournir quelque chose pour la caméra. En fait, les scènes les privent de leur imaginaire. Le cinéaste ne leur donne rien pour les transformer en personnages. Il semble même un peu les ignorer, tout en leur faisant jouer des scènes dostoïevskiennes, avec des tirades impossibles, des visions démoniaques et le lyrisme qui affleure. On les voit là, assis au milieu des décombres, et ce ne sont jamais que des comédiens qui improvisent comme ils peuvent, sans jamais être à la hauteur de la tâche qui leur est confiée. D'ailleurs Lav Diaz essaie de créer des ruptures, en insérant de vraies et fausses séquences documentaires, mais on n'y croit jamais, c'est un truc et ça se voit, ça ne fait qu'ajouter de la durée à un film déjà très expansif.
Enfin comme je me posais la question de la nécessité des 9 heures, le générique de fin est apparu. Et j'ai compris : Lav Diaz est le monteur de ses propres films. Il n'y a même pas un nom en plus petit, un assistant, un regard, rien. Il a son tas de scènes, et il les met bout à bout, comme si de rien n'était, comme le roi d'un pays sans sujet. Et ça forme un film auquel personne n'a rien dit, tout droit sorti d'une tête, avec des fulgurances, certes, mais qui manque d'autre. La vérité, c'est qu'un film pareil, que j'ai trouvé plutôt bon et intéressant, je ne le reverrai jamais, parce que je préférerai revoir Satantango ou Twin Peaks the return, ou 5 Lubitsch, plutôt que de chercher de nouveau dans ce grand flux les quelques passages étonnants.