Bonne nouvelle : loin des feux de la rampe, avec Dernière Séance, Laurent Achard confirme sa singularité et s'impose définitivement comme l'un des grands réalisateurs français de son temps. Mauvaise nouvelle : après les gifles La peur, petit chasseur et Le Dernier des fous, on en attendait peut-être un peu trop du cinéaste, qui avec son nouveau film s'engouffre dans un style assez différent mais sans vraiment réussir à se l'approprier tout-à-fait. Loin du tumulte étouffé, de la démence refoulée de ses personnages habituels Achard se risque ici à aborder l'horreur de front, dans une sorte de slasher stylisé dont le personnage central est un tueur fétichiste. Connaissant ses habituels parti-pris de mise en scène, quelque part assez proches d'un Haneke avec ce zest de fantastique qui fait en grande partie l'angoissante beauté de ses films (voir la manière dont sont abordés la maternité et l'homosexualité dans Le Dernier des fous, où en quelques plans secs et ombragés de silhouettes immobiles le réalisateur réussit à faire naître une tension viscérale), on est d'abord mis en confiance par le pitch qui laisse entrevoir de très belles choses. Dans un sens, on n'est pas déçu : Achard réitère et confirme sa science du champ/hors-champ, de la gestion du son, dans un assemblage de séquences formellement maîtrisées arrachant sans peine quelques frissons. Mais c'est au niveau de l'ensemble que le film patine un peu, comme prisonnier de sa propre ambition.
Premier grief, cette obsession permanente de la citation, qui derrière les prétextes de la symbolique, de la mise en abyme, semble camoufler une quête d'approbation un chouïa énervante, comme si en multipliant les références ronflantes à des cinéastes dont le génie n'est déjà que trop établi Achard cherchait à se protéger derrière elles. L'idée du héros projectionniste et des « quelques » affiches dans le cadre auraient pu suffire à poser le climat, mais le cinéaste préfère en rajouter en faisant prononcer à ses personnages des répliques, en montrant des extraits entiers, en noyant des scènes sous des musiques connues, en explicitant ostensiblement la passion de ses personnages pour les classiques du septième art au risque, parfois, de faire jouer ses acteurs comme des patates – à leur décharge, certains dialogues sont si lourds de référence, à la limite de l'indigeste, qu'ils sont probablement la source du problème. Cet aspect sentencieux revient régulièrement au cours du film comme un tic irritant dont on voudrait faire abstraction pour se concentrer sur la forme, qui elle est excellente lorsqu'elle ne s'essoufle pas sous le poids de cette prétention. Comme dans ses précédents films on penche à nouveau autant du côté de la chronique sociale que du fantastique, l'économie de mouvements de caméra, la relative aridité de la mise en scène, les accès de violence brutale ou d'immobilité angoissante fonctionnent très bien. Pascal Cervo, déjà à l'affiche du Dernier des fous, est étonnant en tueur froid traversé d'éclairs d'humanité ; se devine en lui un petit garçon avide d'affection, parfois un jeune homme tout à fait normal qui semble n'aspirer qu'à prétendre à un bonheur simple. Achard joue avec virtuosité de sa schizophrénie, alternant respirations et séquences d'horreur par des coupes d'une brutalité égales dans un sens comme dans l'autre, mettant efficacement en scène les meurtres autant que les séquences plus paisibles et flottantes d'un karaoké ou d'un flirt innocent.
Dernière Séance évoque parfois les films d'Anne Fontaine, particulièrement Entre ses Mains, avec Cervo remplaçant au pied levé Poelvoorde instable et désespéré. Mais contrairement à celui-ci, et contrairement à beaucoup de thrillers français, le film se trouve une identité certaine dans cette rigueur de mise en scène qui fait le style d'Achard, peu avenante au premier abord, mais quelque part assez poétique et incarnée, notamment lorsque le cinéaste convoque les démons de l'enfance (l'un des sujets centraux à ses films) de manière symbolique autant que littérale. Y affleure souvent une certaine maladresse, un côté un peu bricolé qui dit cependant l'attachement d'Achard à approfondir son style, à fouiller dans tous les recoins de son cinéma dans l'objectif d'y trouver quelque chose qu'il n'a pas encore tenté mais qui reste cohérent avec son approche générale. Cette recherche permanente n'aboutit donc pas toujours, mais a la qualité de contrebalancer la lourdeur du background en réussissant, tout de même, à transmettre quelques beaux frissons. Contrairement à ce que semble marteler son scénario bardé d'idoles vieillissantes le film n'est jamais loin d'une représentation très contemporaine de l'horreur comme de l'amour et c'est précisément ce qui vient le sauver, en dépit de la prétention de certains dialogues, de la lourdeur de quelques séquences et de plusieurs effets pas très naturels (les flashbacks) on en revient toujours à une certaine pureté des sentiments, un côté allégorique et essentiel qui réserve de très beaux moments. Dernière Séance est bien loin d'être parfait, il est bien loin surtout de valoir les précédents films d'Achard mais se hisse pourtant au-dessus de beaucoup de thrillers hexagonaux parce qu'il a le plus important : une patte, une envie, la passion de faire ressentir. C'est tout bête, mais entre les mains d'un tel cinéaste ces ambitions peuvent faire remonter des émotions insoupçonnées.