"J'ai envie d'aimer, j'ai envie de vivre"

("Quand je ne dors pas - La nuit se traîne - La nuit n'en finit plus - Et j'attends que quelque chose vienne").

Parler de "deux jours, une nuit", quelques minutes après l'avoir visionné, en écoutant Petula Clark (en boucle), c'est vouloir volontairement biaiser son jugement. C'est vouloir masquer les aspects négatifs du film, les ignorer. Beh oui, une chanson déprimante, ça me met de bonne humeur, me motive. Et là, j'ai tellement envie d'aimer ce film, pour les frères Dardenne, pour leur réalisation, pour l'esthétique, pour la beauté du film, pour son réalisme, mais aussi pour son message, pour son caractère politique, que je suis prêt à tout, prêt à ne pas démolir Marion Cotillard, prêt à taire certains agacements. Parce que merde, les deux belges réalisent ici un film social, ancré dans le quotidien d'ouvriers, de laissés-pour-compte, sous pression constante, subissant le fonctionnement managérial de leur entreprise. Mais ici, plutôt que d'étudier le système capitaliste par en haut, plutôt que de nous montrer l'acharnement des patrons, ils questionnent les conséquences de ce système par en bas, chez ses victimes. C'est en ça l'originalité de ce film.

("Mais je ne sais qui je ne sais quoi - J'ai envie d'aimer, j'ai envie de vivre - Malgré le vide de tout ce temps passé - De tout ce temps gâché - Et de tout ce temps perdu").

Dans ce film, Marion Cotillard joue Sandra, qui, après un vote interne à l'entreprise, apprend son licenciement. En effet, ses collègues choisissent de percevoir une prime de 1000 euros plutôt que de sauver son emploi. Alors qu'elle perd espoir, une de ses camarades parvient à convaincre le responsable de procéder à un nouveau vote, laissant ainsi la possibilité, le temps d'un week end, à Sandra, de faire basculer les votes. Elle tente ainsi de convaincre, un par un, ses collègues de renoncer à cette prime.

("Dire qu'il y a tant d'êtres sur la terre - Qui comme moi ce soir sont solitaires - C'est triste à mourir - Quel monde insensé").

Malgré Marion Cotillard (que je n'aime toujours pas - je n'en dirai pas plus), ce qu'il faut retenir, c'est le message du film, ce qu'il nous confirme ou apprend sur la société actuelle, ce qu'il nous montre, nous dit, de la droitisation de la société, de cette société individualiste, inégalitaire. Des salariés prêts à sacrifier l'une des leurs pour une prime, pour quelques heures supplémentaires, pour travailler plus, pour gagner plus. Une prime qui participe de la société de consommation, finir une terrasse, acheter des meubles, une machine à laver. Un message d'autant plus dur à avaler quand on suit le personnage de Cotillard tout au long de film, qui accepte cette société, son fonctionnement, qui, même en luttant, comprend ses camarades, ce chacun pour sa gueule, développant une empathie pour eux. Même les victimes du capitalisme en acceptent son fonctionnement, ses bases, ses rhétoriques - la compétition, la CRISE, imposent tout deux de licencier, pour le bien de l'entreprise.

("Je voudrais dormir et ne plus penser - J'allume une cigarette - J'ai des idées noires en tête - Et la nuit me parait si longue, si longue, si longue")

Comment lutter contre une idéologie qui a gagné la bataille des idées, qui a su imposer son hégémonie culturelle? Qui est parvenue à gangréner, par l'école, par la télévision, par la presse, l'esprit de tous? Une idéologie qui n'est pas sans conséquences sur les individus, qui, comme le montre le film, ont, pour la plupart, honte de leur choix, ils savent l'injustice de leur vote. Mais on voit bien ici comment le contexte de CRISE permet de tout justifier. Cet état de CRISE permanent, cette peur constante, qui, en sus de mettre en compétition les entreprises entre elles, les pays entre eux, met en compétition les employés d'une même équipe, d'une même structure. Si c'est pas lui, c'est moi. C'est marche ou crève.

("Au loin parfois j'entends d'un bruit de pas - Quelqu'un qui vient - Mais tout s'éfface et puis c'est le silence - La nuit ne finira donc pas")

Dans le même temps, ce film nous place dans le quotidien des ouvriers, ceux qui doivent travailler au noir, ceux qui sont sous la pression familiale, qui subissent la violence de leur concubin, ceux qui galèrent et voient dans la prime un moyen de s'en sortir, de finir le mois, de payer les études de leurs enfants. Car, même si l'idéologie néo-libérale a pénétré les esprits, il n'en reste pas moins que les ouvriers en subissent de plein fouet les conséquences. Ce système pousse les uns et les autres à cet individualisme, à choisir leur personne, leur famille, aux dépens de quelqu'un d'autre. C'est en ça que ce système est néfaste, pernicieux, corrupteur, ils poussent les individus à devenir ce qu'ils ne sont pas, ce qu'ils ne voudraient pas être. Ils entrent en contradiction avec leur personne. Il va même jusqu'à les contraindre de l'accepter, il les met devant le fait accompli, les laissant désarmés, sans marge aucune.

("La lune est bleue, il y a des jardins - Des amoureux qui s'en vont main dans la main - Et moi je suis là - A pleurer sans savoir pourquoi - A tourner comme une âme en peine")

Les frères Dardenne réalisent ici une chronique sociale réaliste, qui ne cherche pas à aller droit au but, à nous envoyer du rêve. Pour preuve, les inlassables visites de Sandra auprès de ses collègues, qu'elle rencontre tous ou presque (au moins par téléphone). Combien de réalisateurs, de producteurs, auraient simplement coupé ces scènes? Dans ce film, tout est dans le détail, quand Fabrizio Rongione (Manu), après avoir découpé la pizza de son fils, pense à le reprendre. Quand Sandra dit à son fils de faire attention aux voitures avant de traverser. Quand la collègue de Sandra s'excuse devant son responsable de lui couper la parole, montrant ici la position dominée de celle-ci. Ce ne sont que quelques détails parmi tant d'autres, aussi inutiles soient-ils pour certains, ils sont représentatifs du réalisme recherché, et, à mon goût, atteint.

("Oui, seule avec moi-même - A désirer quelqu'un que j'aime - pas cette nuit, pas cette nuit - Qui ne finira donc jamais")

Comme je l'ai dit au tout début, je voulais aimer ce film, en développant les aspects positifs, en ignorant ce que j'ai le moins apprécié. Même si ma position est, dès le départ, partiale, il n'en reste pas moins que ce film doit être vu et analysé. Il n'est pas sans laisser des traces, sans vous interroger. Ma critique, aussi mauvaise et discutable soit-elle, par sa monté en généralité, par l'aspect politique qu'elle prend, n'en est que plus révélatrice de mon positionnement dans l'espace social, de mon positionnement politique (à gauche, la vraie gauche !), un positionnement parfaitement assumé. Cela pourrait être vu par certains comme malhonnête, et alors ?! C'est le cas de tous! Ou peut-être que j'ai tout simplement rien compris au film, que je l'ai vu de travers, que j'ai loupé quelque chose, et alors ?! Au moins j'ai pu dire ce que j'avais envie de dire, d'ailleurs, peut-être que le film n'est qu'un prétexte pour m'exciter politiquement ! C'est, en quelque sorte, un foutu défouloir ! Et merde, ça fait un bien fou !

("Mais j'ai trop le cafard - Je voudrais partir au hasard - Partir au loin et dès le jour venu - La nuit, oh la nuit n'en finit plus - Oh oh oh oh, oh ! la nuit ne finit plus")
pandabear
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le 27 mai 2014

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