Probablement mon Kubrick préféré


Il convient de replacer le film dans son temps, 1964, pleine guerre froide, l'Est et l'Ouest se livrent a un duel silencieux, un duel de la tension, dont l'enjeu n'est rien de moins que l'avenir de l'humanité. Dans un tel contexte, on ne peut que comprendre le malaise dans lequel une personne de l'époque aurait pu le recevoir, et c'est en cela que le film est véritablement brillant. Après l'avoir revu, je me rends compte que c'est la perspective que l'on prends en le regardant, que Kubrick manipule tout le temps, qui donne au film cette oscillation entre un humour potache et un malaise croissant a mesure que les barrières du déni s’effritent.


Mais revenons au film, en pleine guerre froide le Général Jack D. Ripper pète un fusible et en éclot une psychose digne d'un cas d'école, fermant la base, convaincu que les russes contaminent ses précieux fluides, et fait sécession au reste du monde, accompagné par le Capitaine Lionel Mandrake campé par l'excellent Peter Sellers tentant désespérément de limiter les dégâts. Décidé a rayer l'URSS de la surface du globe, il envoie donc ses escadrons de B-52 droit vers le rouges, et se met alors en place une cellule de crise.


Le génie du film c'est d'appuyer sur le dépassement complet de ces dirigeants face à un problème dont l'ampleur est totalement clivée, transformant une crise grave en un spectacle étrange où une poignée acteurs fantoches jouent une pièce sans script: pas besoin, après tout, ce ne sont que des figurants...
Car cette table autour de laquelle tous "décident de l'avenir du monde" n'est rien de plus qu'une table de poker où chacun bluffe avec une main qu'il n'a pas: le B-52 aveugle, sourd et à l'équipage muni d'un solide patriotisme sans cervelle n'a cure de la parodie de pouvoir qui s'ébauche au fin fond de ce bunker : il est en mission


Toute la puissance du film se situe précisément dans ce décalage, et a mon sens culmine de génie quand le président (aussi campé par Sellers) un peu paniqué demande au Général « Buck » Turgidson si le B-52 va réussir à atteindre son objectif, et ce dernier de lui répondre avec l'entrain d'un enfant de 10 ans. c'est peut être bien la ce moment, non pas qui condense, mais qui sert d'exemple brillant au propos du film et qui n'est pas sans laisser penser a la célèbre phrase de Clémenceaux sur la guerre et les militaires et ce malaise nait de ce décalage entre la capacité de se représenter réellement la menace nucléaire et le pouvoir décisionnel qui leur échoit en temps de crise, se retrouvant a parodier un semblant de pouvoir, et de ce fait donnant une résonance terrorisante a la confiance aveugle donnée aux gouvernants.


Il n'est donc pas difficile d'imaginer le malaise qu'on pu éprouver ceux qui ont vu ce film a sa sortie, alors sûr que la puissance nucléaire était contrôlée, que le statut-quo tiendrait, et qu'aucune poussière ni erreur de gestion ne viendrait faire s'écrouler la conviction de sécurité dans laquelle semblait les tenir l'assurance d'une destruction mutuelle. Mais Kubrick balaie cela avec brio, montrant que ceux qui croient posséder sont en réalité dépossédés de tout sens de la réalité, dépassés par un degré de destruction qu'ils ont engendré, par une escalade dont ils se sont découvert les pantins plus que les acteurs.


Mais quid du Docteur Folamour? Eh bien sa dernière tirade géniale, avec un bras mécanique toujours furieusement fidèle à son Fürher a le mérite de nous faire prendre conscience d'une chose: les braises de la seconde guerre mondiale et les idéaux nazis ne sont pas très loin derrière et sont toujours aussi prompts à convaincre les imbéciles qui sont enclin a prêter oreille à des promesses aussi alléchantes que vénéneuses: "un ratio d'un homme pour dix femmes vous dites?"


Et la dernière scène du film renchérit plus encore, en montrant que même arrivé à la fin, un nouveau cycle commence, et ce cycle ne s'est pas émancipé de ses schémas destructeurs, voila un brillant exemple de compulsion de répétition: cela ne marche pas? continuons tout de même, prenons des photos, juste au cas où...

Tellios
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le 29 nov. 2014

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