Attention : le texte ci-après peut dévoiler malencontreusement quelques éléments de l'intrigue …
En voilà une surprise que ce film de Takeshi Kitano sans Takeshi Kitano comme acteur …
Takeshi a éprouvé le besoin de rendre hommage au "Bunraku", un genre du théâtre traditionnel japonais (comme il y a aussi le Nô ou le Kabuki). Le Bunraku est un théâtre de marionnettes très grandes manipulées par des officiants et accompagné par un récitant et un joueur de shamisen. Le film "Dolls" en montre d'ailleurs un extrait au début du film. En guise d'explication, j'ai lu que la grand-mère de Kitano était justement une chanteuse de Bunraku et jouait du "shamisen".
Kitano va donc scénariser et mettre en scène trois histoires d'amour directement inspirées de ce théâtre. On pourrait dire que ces histoires sont tellement "dépouillées" (pas mieux comme mot pour l'instant) qu'elles tendraient à l'épure.
Oui mais non. Chez moi, elles ont un effet de repoussoir tellement elles sont négatives et désespérées.
Comme l'histoire de ce jeune couple qui se "reforme" après la trahison de lui entrainant la folie d'elle. Ils errent silencieux, au gré des routes, au gré des saisons, attachés par une grosse corde (rouge). Les costumes, qui changent à chaque saison, ont beau être somptueux, la sérénité de leur errance me fait froid dans le dos.
La deuxième histoire concerne un autre jeune couple sur un banc dans un parc public. La femme apporte à l'homme un repas chaque samedi midi. Un jour, l'homme annonce qu'il doit partir pour chercher du travail ailleurs. Elle lui jure que tous les samedis, elle sera là à l'attendre avec un repas. Trente ans plus tard, l'homme devenu yakuza (Kitano n'a pas pu s'empêcher d'en introduire un dans l'histoire), revient vérifier un samedi si la femme a tenu sa promesse. La réponse est (évidemment) oui et à première vue, je pourrais dire que c'est beau. Mais, in petto, je me dis que c'est, au contraire, affreux, horrible, désespérant. Si c'est ça l'amour, je deviens célibataire à vie et ne veux plus en entendre parler, de l'amour !!!
Je ne dévoilerai pas la troisième histoire qui est "belle" mais tellement glaçante …
L'amour, peut-être, mais l'amour désenchanté et froid.
"Dolls" est un film résolument très esthétique dans lequel on retrouve, quand même, quelques thèmes ou styles récurrents chez Kitano. L'absence fréquente de dialogues compensés par les regards, les attitudes, le décor. On retrouve sa fascination fréquente devant le spectacle de la mer. Kitano use de beaucoup de plans fixes ou de longs travellings (pour suivre l'errance du couple). Le montage donne toujours une impression de brutalité dans le passage d'une scène à l'autre. La photographie est sensationnelle (au sens premier du mot) avec ces images très travaillées de chaque saison, d'arbres fleuris au printemps, de paysages d'automne avec les feuilles d'érable rouges, de la neige en hiver …
Le résultat final est certainement que Kitano nous a livré un beau film. Je lui accorderais bien 8 ou 9 comme note (pas plus de 10, toutefois). Mais l'histoire me glace le sang, m'effraie, me désespère même si je veux bien reconnaitre que les protagonistes ont une espèce de beauté intérieure. Je ne descendrai pas en dessous de 5 ; Au terme d'une négo interne et intense, on va aboutir à un raisonnable 6.