Rappel important : le nouveau film d'Adam McKay a été écrit avant qu'un certain Covid-19 ouvre une bien funeste page de notre Histoire. Finalisé en 2019, le projet a lancé sa phase de tournage alors que le virus commençait à se répandre autour du globe. Pourtant, comment ne pas voir les énormes similitudes entre la situation décrite par Don't Look Up et ce que nous vivons depuis bientôt deux ans ? De cousin proche, le voilà catapulté hériter en ligne directe des Hommes d'Influence réalisé par Barry Levinson (1997), sans parler du Dr Folamour signé Kubrick. Rigolez-bien tant que vous le pouvez, le contre-coup n'en sera que plus douloureux. Avec The Big Short et Vice, McKay entamait une mue qui atteint son stade terminal ici. De mariole en chef des débuts, le voilà définitivement posé en expert-dézingueur. Dans sa ligne de mire, on trouvait hier le libéralisme sauvage ou l'autoritarisme tous azimuts, tous deux bien de chez l'oncle Sam. En 2021, c'est all inclusive.
Parti sur le postulat d'une menace extra-planétaire (une météorite fonce sur la Terre), l'idée est de regarder comment un monde hyper-connecté réagit à son annonce. Autrement dit, voir la parole scientifique passé par différents filtres nommés politique-spectacle, médias de masse, réseaux sociaux...Le résultat ? À moins de vivre dans une grotte depuis le printemps 2020, vous en avez déjà une bonne idée. La grande réussite du film est d'arriver à nous faire rire tout en nous assénant quelques piqûres de rappel, où le délire est mis en sourdine quelques secondes, juste pour bien faire monter l'inconfort. Don't Look Up tient cette ligne d'un bout à l'autre, entre satire, pastiche et drame. Pas évident, donc McKay a légèrement calmé les chevaux sur les procédés illustratifs, qui inondaient ses deux précédents longs-métrages, pour suivre une narration plus linéaire. Ce qui n'empêche pas les pas de côté, au contraire. Ce sont même eux qui donnent au film son esprit.
Bien sûr, on voit d'abord la charge terriblement frontale d'une Amérique nombriliste (la relecture d'Armageddon est géniale) et superficielle, privilégiant l'appât du gain devant la sauvegarde du collectif. D'abord représentée par sa présidente dégénérée (Meryl Streep, incroyable) et son chef de cabinet - son fils ! - tout aussi bête et irresponsable. En gros, un monstre de Frankenstein composé à partir de Trump, Bush Jr et Reagan, préférant suivre les avis d'entrepreneurs cyniques à l'image de cette relecture cynique de Steve Jobs, incarnée par un Mark Rylance au sourire colgate inquiétant. Comme si Ron Burgundy - le présentateur ignare que McKay et Will Ferrell ont immortalisé dans 2 comédies burlesques - avait infiltré le monde réel.
Pourtant, les salves la plus violentes seront réservées aux sphères médiatiques ainsi qu'aux utilisations néfastes des réseaux sociaux. Bref, des lieux où on traitera les informations capitales après les fonds de cuvette, où le discours s'efface derrière les buzz, hashtags, émoticones, nombre de vues, course à la célébrité, selfies, stories et tant d'autres travers devenus diarrhée primitive submergeant toute forme d'intelligence. Plus inattendu, son duo de stars qui accepte volontiers de passer sur le grill quitte à écorner leur image.
Parmi les belles surprises, il y a Jennifer Lawrence dans un joli retour avec un rôle masochiste faisant tout droit écho à la tempête médiatique que l'actrice dut affronter en 2014. Après Once Upon a time in...Hollywood, Leonardo DiCaprio fait montre d'une nouvelle prestation emplie d'autodérision où il tord sa stature de vedette engagée qui joue néanmoins le jeu du show télé pour faire passer son message. Loin de vanter les mérites du moindre mal, McKay s'en résigne tout en lui décochant plusieurs flèches lors d'une longue scène de concert entre espoir et dégoût. Tout ça pour dire qu'on navigue constamment entre l'amusement, la gêne et le vertige alors que le récit devient de plus en plus effervescent, parfois à ses dépens.
Don't Look Up s'embarrasse de certaines sous-intrigues hors de propos, par exemple celles concernant les personnages (bien) campés par Cate Blanchett et Timothée Chalamet. Au mieux, elles appuient ce qui étaient déjà acquis, au pire ne servent à rien du tout. Deux heures en ligne droite étaient idéales pour assurer à McKay son meilleur film. Ces vingt-minutes paraissent d'autant plus superflues et injustifiées que tout l'épilogue retrouve la virtuosité du reste, avec montage qui s'emballe, moments de suspension et électrochocs (ce mémorable réquisitoire face caméra). Où situer le film ? Pessimiste ? Désespéré ? Nihiliste ? Misanthrope ? Envers son monde, peu méritent l'absolution c'est clair. Paradoxalement, son existence et ce ton résolument engagé induisent que son créateur ne s'arrêtera pas de secouer le notre, loin de là.