"La destruction de la planète, c'est pas censé être marrant." (?)

Il est assez difficile d'écrire une critique - au sens habituel - cinématographique sur Don't Look Up puisqu'il est inéluctable de se confronter à l'évaluation de l'utilité politique du film, qui balaie pour certains l'importance des considérations techniques plus "terre à terre".


Evacuons donc ces considérations techniques en prélude.


Le film souhaite profiter de son casting all-stars, comme souvent avec Adam McKay (une pensée surtout à The Big Short) et à ce titre l'exécution comédienne est presque impeccable. Jennifer Lawrence incarne une femme jeune et réfléchie, intelligente et engagée mais dans des nuances différentes de ce dont elle avait habitué les spectateurs dans sa filmographie, à savoir intégrant un mal-être psychologique et un nihilisme vacillant entre abandon et révolte. Leonardo Di Caprio, s'il peut paraître un peu misérabiliste au milieu du film, est efficace dans son jeu de celui qui, n'osant pas s'imposer quand cela est nécessaire finit par jouer le jeu et y reste par sécurité. L'évolution de ce personnage en faveur d'une rédemption reste relativement convenu pour le propos ambiant.
Le reste du casting n'est pas en reste, il serait inutile de l'énumérer, à l'exception certaine du personnage de Timothée Chalamet qui reste dans sa zone de confort habituelle d'un personnage sans surprise, revu notamment dans The French Dispatch, au point de ne pas être sûr de son apport réel au récit.


Le montage est également très efficace, mais il insuffle quelques dialectiques intéressantes comme le fait de jongler au sein d'une temporalité de courte échelle entre des moments décisifs, ou de réalisation de quelque chose, et les moments de leur accusation, de leur acceptation ou mis en œuvre. Parfois l'un des deux est même mis en suspend, en arrêt sur image, entrecoupé donc de dialogues ou de scènes de progressions silencieuses. Cela permet à la fois de jouer avec les ellipses dans un film qui nécessite de passer sous silence des moments de vide tout en faisant ressentir leur poids mais également de signifier des décalages entre différents "mondes", médiatiques, politiques, militants, populaires, celui des protagonistes ...


Toujours dans le montage, la mise en scène du stress par les différents effets d'édition est percutante sans être profondément innovante. Les inserts sur les corps pendant les discussions pour signifier la nervosité - les jambes qui "dansent", les mains qui se frottent ou recoiffent des cheveux ... - ainsi que plusieurs effets sonores d'assourdissement, d'isolement ou de sifflements, sont notables.
Quelques erreurs assez étranges se sont toutefois glissées dans le film, comme un effet ralenti sur un personnage qui pianote sur son portable - réduction du nombre de frames visible - mais seulement concentré sur cette partie du plan, les autres personnages ayant des mouvements fluides ; ou ce moment où le Dr Randall Mindy sort de sa voiture pour observer la comète pour la première fois dans le ciel, et où la caméra alors dans la voiture termine un plan globalement fixe par une secousse de plan d'épaule comme si le cadreur tentait de sortir de la voiture avant la fin du shot ?


Finalement, les différents plans de l'espace sont d'une beauté sans exagération, avec des teintes de bleu et d'orange pas trop accentuées et quelques effets remarquables comme les trainées d'étoiles à l'occasion d'un "timelapse" de ciel nocturne. Les plans des cieux de manière générale sont très réussis et ne forcent pas la contemplation que ce soit dans le temps d'écran ou dans la mise en scène. A ce titre il est possible de considérer toute la cinématographie des parties "spatiales" comme franchement réussie.


Considérons à présent un avis personnel sur la satyre que constitue Don't Look Up.


Il est globalement difficile de dire que les mécanismes que surligne le film sont inappropriés ou incorrects. Les désintérêts et l'inefficacité des dirigeants, surtout populistes comme l'incarne la métaphore trumpienne de Meryl Streep ; les logiques partisanes d'opposition entre la débilité la plus assumée et les positionnements moraux inconsistants ; la stérilité grandissante des services médiatiques proportionnelle à leur plongée en apnée dans la logique spectacle-rentabilité ; la récupération d'un problème inéluctable pour le transformer en bénéfice potentiel par des ultra riches dont le plus beau coup a été de se faire passer pour des philanthropes ; les doutes populaires accentués par les manœuvres des élites et les tensions utiles ; la déprime généralisée, menée par des agents de l'intelligence hystéricisés ou bien plastiqués en outil marketing. Enfin, le pessimisme violent de la situation qui laisse entrevoir de moins en moins d'espoir à mesure que la machine huilée de la mascarade continue de faire tourner les jours en gavant les individus d'un "tout-va-bien" marchandisé.


Un parti pris indéniable du film est de mettre en perspective, dans une fin qui suscite beaucoup d'émotion de par sa simplicité servant un dramatique froid et tranché, les responsabilités individuelles face à l'échelle mondiale. Les êtres se retournent sur eux-mêmes, dans des petites choses désespérément humaines comme une prière, une discussion sur des goûts de plats, une famille, des amours... pour illustrer ce seul recours réconfortant qu'est l'échelle de l'humain.


A ce propos justement, le parallèle discret que fait le film sur l'échec des algorithmes est éloquent : les mêmes algorithmes qui assuraient à Sir Peter Isherwell 1/ la réussite de son projet - et surtout plus généralement de sa vision du monde - et 2/ la mort du Docteur Mindy dans la solitude prouvent silencieusement leur défaite cuisante dans la fin de ce dernier.


Alors il est vrai que la finalité du propos du film sur la politique de la catastrophe ne laisse que peu de doute quant à son écho dans le présent. Affirmons le enfin, nos têtes dirigeantes s'en foutraient tout pareil, comme ils s'en foutent aujourd'hui dans une situation moins urgente, voilà une chose qui est sûre.
Nonobstant subsiste un doute, alimenté par une citation de la protagoniste du film : "La destruction de la planète, c'est pas censé être marrant."


Alors, pourquoi une comédie ? Il bien possible que les structures de mise en scène narratives et cinématographiques d'une comédie puisse s'opposer à la construction, non pas d'un drame en soit mais bien d'un drame-réaliste.
Les ressorts comiques qui naissent parfois de l'exagération de cette caricature, puisque c'est dans la sémantique de la satire, peuvent bien desservir les ressorts dramatiques surtout lorsque ceux-ci se veulent être force d'évocation du réel.
Lorsque par exemple, une séquence lunaire d'un journal télé invite une chanteuse et un chanteur à se réconcilier en direct par médias interposés, avec une facticité forcée créant ce comique grotesque, est suivie de la première intervention télé des protagonistes censée illustrer l'angoisse de la sourde oreille, la critique du média spectacle et de l'info divertissement se concluant par des hurlements de vérités qui ne veulent être entendues ; comment se positionner en tant que spectateur ?
Le rire d'une situation grotesque ou l'angoisse d'un reflet du réel ? L'enchaînement des deux est particulièrement propice à flouter dangereusement les pistes, soit au profit d'un nihilisme global et désabusé qui n'aboutit qu'a l'abandon, soit au profit d'un amoindrissement de la métaphore perçue comme prenant sens dans une grande parodie.


S'il est très intéressant de faire en sorte que le spectateur ne puisse pas vraiment se situer à 100% derrière l'un des protagonistes (chacun représentant une façon d'abandonner), le problème peut malheureusement se répercuter dans le mélange des genres.
Il est bien difficile de savoir si l'alchimie fonctionne, puisque l'on parle ici d'efficacité politique dans la portée d'une œuvre. Alors s'il convient, ici, de garder une réserve sur la représentation de la situation aux Etats-Unis qui peut sembler exagérée à un public européen - notamment dans la représentation des réseaux sociaux, dont l'effet graphique d'enchainements pour évoquer la multitude est d'ailleurs assez moyen dans le réalisme - peut-être faut-il également répondre à cette question avec le même espoir que celui dont il faut faire preuve pour résoudre le fond du problème.


En d'autres termes : à la question La destruction de la planète, est-ce censé être marrant ? qui est centrale dans cette critique ;
de même à la question Est-ce un film utile ?
Peut-être devrions nous nous garder d'un avis tranché, observons ses effets, les curiosités qu'il ouvrira peut-être, ses récupérations militantes ; tâchons surtout nous, de l'utiliser à bon escient en le partageant tout en le complétant.
Peut-être alors que du rire, qu'il soit froid, ironique, désabusé ou sincère, et des effets si mystiques de l'art naîtra ce qui nous permettra de pourchasser ce que le film ne nous laisse pas, en avertissement mais peut-être bien aussi pour en souligner sa nécessité : l'espoir.

Gwaï
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le 25 févr. 2022

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