Après Tod Browning, Terence Fisher et John Badham (entre autre noms moins prestigieux, bien sûr), c'est au tour de Francis Ford Coppola de donner sa version du légendaire roman de Bram Stoker pour un résultat brillant, voire étourdissant. La scène d'introduction donne le ton : violente, épique... Sans être réellement annonciatrice du reste de l'œuvre, la maestria visuelle est évidente et pour ceux qui ne seraient pas hermétiques à ce style assez pompier, on ne peut que se régaler devant une telle maîtrise.
Bien que souvent fidèle à l'œuvre originelle, on sent que l'auteur du « Parrain » a manifestement l'intention d'apporter sa vision du plus célèbre vampire de l'Histoire du cinéma (et de la littérature), jouant aussi bien sur les costumes et décors que ce qu'il veut faire de ses personnages, dont certains qu'ils n'hésitent pas à malmener. À ce titre, le casting est excellemment pensé : la fadeur assez indescriptible de Keanu Reeves correspond ainsi idéalement à celle de Jonathan Harker, comme celui d'avoir choisi Winona Ryder pour interpréter Mina : sa fragilité, sa douceur et son physique très fin créent une attirance loin d'être uniquement sexuelle, amenant le film vers un romantisme exacerbé assez splendide, magnifié par la somptueuse bande-originale de Wojciech Kilar.
Sadie Frost est touchante en figure aussi sensuelle que tragique, Anthony Hopkins cabotine avec un talent redoutable, tandis que Gary Oldman se déchaîne, n'ayant pas peur d'en faire des tonnes, offrant à son Dracula une dimension flamboyante et passionnée, une créature complexe et ambiguë d'une sincérité absolue dans sa passion amoureuse (où celui-ci fait même preuve d'une humanité étonnante vis-à-vis de l'être aimé), quitte à éliminer tous ceux qui viendraient s'opposer à sa volonté. Coppola se fait plaisir à travers une somptueuse reconstitution, se fait plaisir à travers les jeux d'ombres, de lumières et convoque un torrent de couleurs (où le rouge a, évidemment, un rôle prépondérant) par sa photographie gothique à souhait (magnifique travail signé Michael Ballhaus), amenant au film une puissance visuelle rarement atteinte.
J'avoue avoir été moins convaincu par ce personnage de Renfield dont le cinéaste ne semble pas trop savoir quoi faire et surtout la dernière ligne droite, ces
allers-retours entre la Roumanie et Londres,
cette légère impression d'avoir du mal à terminer ou d'une conclusion moins intense qu'espéré (ce qui ne veut pas dire qu'elle en est dénuée!). Mais ces légères réserves restent bien secondaires face à la flamboyance d'une œuvre souvent magistrale, sorte de cinéma total pour ce qui est probablement le dernier grand film du Maître (le débat concernant « Tetro » sera pour une autre fois) et une sacrée claque pour ceux ayant eu et qui auront la chance de le (re)découvrir au cinéma. Intense.