A travers un grand nombre de références culturelles, ainsi que l'inclusion de plusieurs éléments de l'histoire du cinéma dans sa facture et sa trame, comme des effets de toutes sortes, ombres chinoises, surimpressions, fondus divers et des évocations des films des frères Lumières ou de Murnau, ce Dracula propose, par le récit de l'histoire de l'un des personnages les plus prisé par les réalisateurs, une véritable histoire du cinéma. Il semble que cette réconciliation virtuose du cinéma avec lui-même, à l'époque où la télévision et la société de consommation le menacent, redouble une réconciliation amoureuse.
En effet, tout le film est tendu vers la réconciliation posthume de Dracula et sa défunte épouse dans l'au-delà ainsi que de Mina et Harker. Au début, Mina rêvasse sur un exemplaire du Kamasutra en écrivant une lettre à son époux avant que Lucy intervienne et séduise ses trois prétendants - elle choisira le troisième pour fiancé. Elles sont toutes les deux divisées entre éros et agape, entre leur désir sexuel et leur bonheur conjugal. Cette dualité se retrouve chez chaque personnage, qui prouve avec Freud ou Jung, que toute âme humaine est habitée par une ombre ou un inconscient plus ou moins ténébreux. Harker est tenté par les succubes, et il se révèle bestial dans la traque du comte Dracula, alors qu'il est un respectable avoué et fiancé ; Van Helsing admire son ennemi, mais cherche tout de même à le détruire ; Lucy et Mina sont tiraillées entre leur désir et leur mariage, entre Eros et Agape ; Renfield joue avec et contre son maître lorsqu’il souhaite sauver Mina du désir délétère de tous les hommes qui l’entourent. La seule façon de surmonter cette dualité qui réside en tout homme est le sacrifice féminin de son désir sur l’autel du Christ afin d’accéder, pour Dracula à la rédemption, et pour Mina à une vie maritale heureuse. Toutes les tribulations du désir de chacun des personnages représentent tous les écueils par lesquels l’âme humaine passe avant de pouvoir accéder au bonheur. Tous les vices sont représentés et la seule voie de salut semble être l’assomption du désir, lorsque Harker consent à laisser sa femme pénétrer en l’église avec son amant, ou lorsque Mina renonce à l’immortel amour en sacrifiant son éternel époux. La morale de ce récit réside dans l’acceptation du désir et les concessions nécessaires des époux pour vivre une union heureuse. Les seuls couples qui sortent victorieux de cette épopée sont ceux de Harker et Mina, puisque chacun a accepté de renoncer à ses désirs de vengeance ou de chair pour vivre ensemble, et de Dracula et sa femme suicidée, qu'il rejoint dans la mort. Ce film demeure donc une véritable ode à l’amour conjugal, au couple, à l'agape, à une conception permissive de la fidélité, et à un amour qui consisterait à laisser l'autre être. En somme, l’amour n’est rien de moins que relatif, jamais absolu, toujours humain et dangereux.
Le cinéma a traversé les mêmes passions et le film illustre par sa débauche d'effets spéciaux les vices qui toujours le menacent, mais qui ont aussi fait la grandeur de cet art menacé en cette fin de siècle où les certitudes s'effritent, où la télévision domine et où le consumérisme est promis à un avenir radieux à la suite de la chute du bloc soviétique. Tout comme le couple, le cinéma doit faire des concessions au goût de l'époque, traverser des tempêtes, mais il laisse à la postérité un enfant, un héritage dont ce film porte les traces.