Les termes du contrat sont simples : il ne participe pas au braquage, il conduit, exclusivement. Pour semer la police, il lui faut cinq minutes, montre en main. L'homme bosse seul, sans arme. Une fois sa mission accomplie, il disparaît... Cette manière de procéder est d'une efficacité redoutable. D'emblée, le cinéaste enrichit la scène de genre qu'est la course-poursuite : aux moteurs vrombissants et aux pneus qui crissent, il ajoute le silence. Dans la forêt urbaine de Los Angeles, on voit le bolide se déporter soudain, stationner tous feux éteints. Avant de bondir de nouveau et de filer dans la nuit, à tombeau ouvert, laissant les braqueurs, passagers à l'arrière, sidérés...
Une ouverture très stylée, promesse de chef-d'oeuvre. Drive débute comme du Tarantino ou du Michael Mann, avant de la jouer plus modeste et de suivre le sillon de ces films noirs de série B. Le héros y est un solitaire taciturne, chauffeur la nuit, cascadeur à Hollywood le jour. Un homme qui ne dort pas, sans ami, à part un garagiste boiteux qui pourrait être son père, magouilleur à ses heures. C'est la revanche du figurant - dans les polars, le chauffeur est en général un personnage secondaire. Il passe ici au premier plan, tout en gardant son indépendance...
L'amour peut-il l'atteindre ? Il surgit en tout cas sous les traits d'Irene , charmante voisine au regard triste, mère d'un bambin et dont le mari est en taule. Entre elle et le cascadeur, cela pourrait coller. Mais il s'éclipse dès que le mari est de retour au foyer et vient même porter secours à ce dernier. Pourquoi ce sacrifice ? Que veut-il au juste ? On s'interroge d'autant plus que son flegme et sa gentillesse peuvent cacher une brutalité inouïe. Qui jaillit dans une belle scène d'ascenseur où la tendresse d'un baiser est aussitôt suivie d'un déchaînement de violence...
Ryan Gosling, lui, apporte quelque chose de différent : une silhouette élancée, une réserve, à la fois stoïcisme et timidité. Celle d'un ange exterminateur et d'un chevalier errant, défenseur de la veuve et de l'orphelin. L'ironie veut qu'il porte même un blason, un scorpion jaune sur son blouson argenté...
Autant dire que le réalisateur joue avec les archétypes, s'amuse à brouiller les repères : le graphisme rose du générique, la musique synthétique assez disco. Entre pastiche et hommage, Refn cherche moins à créer quelque chose de nouveau qu'à dérouler du déjà-vu en réécrivant dessus. A revisiter, au ralenti ou en accéléré, cette ville mythique qu'est Los Angeles...
Le titre est heureux. Ce n'est pas tant ce conducteur un peu irréel qui prime, mais l'action de rouler (drive). Rouler pour fuir, avec cette sensation que le destin se joue dans ce recommencement perpétuel. Nicolas Winding Refn a réussi à fondre voiture et cinéma, en honorant leur fonction première : nous transporter !!!