Dans ce deuxième long-métrage de Gus Van Sant, on se croirait chez Jarmusch : même errance, personnages qui s'ennuient, qui vivent. On pense a "Stranger than Paradise" et encore plus a "Permanent vacation" : ces images tournées en décors réels sur un musique jazz, nous berçant à une époque révolue.
Mais Gus Van Sant, s'inspirant d'un livre autobiographique, va plus loin.
C'est aussi le portrait d'un personnage : Bob (Matt Dillon excellent). En voix-off, Bob nous raconte son histoire : le plan d'ouverture est aussi le dernier plan du film : comment en est-il arrivé la ? Long flash-back, nous sommes a Portland en 1971, le film prends très peu le parti des influences culturelles ou politiques, Bob et sa bande, un quatuor de junkies, il nous les présente dès le début : Dianne est sa femme, plus âgée que lui, plus mature, plus posée, elle s'y connaît fortement en drogues, c'est une "vieille de la vieille", Rick (James LeGros très bon et particulièrement touchant) est un ami de Dianne, c'est le premier lieutenant de Bob et puis Nadine, la petite amie de Rick, l’employée d'une pharmacie qu'ils ont braqué et que Rick se tape, abandonnant son job pour se défoncer : ironique. Bob, lui est un junkie, un type qui est toujours plus ambitieux dans ses plans, parano, il a été en taule. Le film raconte toute une histoire, un peu longuette de ces quatre là.
Le film est très dur, réaliste. On est chez Van Sant : le film traite de la jeunesse marginale, a Portland, il y a un ou plusieurs morts. Et le film respecte le code éthique des junkies : c'est quoi être un junkie ? Qu'elles en sont les règles ? Comment c'est après avoir pris une dose ? Quels produits ? Le film montre les personnages en train de préparer leur drogue et se les injecter. Rarement pour un Van Sant, il n'y aucune scène de sexe, quasiment aucune référence a l’homosexualité (sauf le mot "tapette" qui est prononcer une fois et un autre mot aussi peu flatteur) et on voit Gus Van Sant très rapidement dans le générique de fin : séquences filmées en super huit du quatuor s'amusant dans un coin désert de Portland. Avec ce film en couleurs, faisant référence a la superstition (un chapeau sur un lit : c'est 30 jours de poisse pour Bob) mais aussi aux effets de la drogue : Bob voit plein d'objets et de petites lumières après avoir pris sa dose.
Bob nous raconte son histoire, l'histoire est exclusivement de son point de vue : c'est plus son histoire d'ailleurs, c'est lui qui apparaît dans quasiment toutes les scènes que le réalisateur rends attachant, c'est un bad boy, avec son blouson en cuir, ses boots, ses cheveux avec du gel bien brosses, avant la mèche de John Travolta dans "Grease" quelques années plus tard.
On est attaché à ce gars tant Matt Dillon l'incarne formidablement bien et juste, on se demande quasiment comment un cinéaste aussi cool et tranquille de Gus Van Sant a pu obtenir cette performance de Matt Dillon : c'est impressionnant. Mais on aime aussi James LeGros, son personnage de premier lieutenant accro a la drogue, touchant est joliment interprété, James Remar en flic pourri mais finalement pas si pourri que ça s'en sort très bien.
Comme à son habitude, Gus Van Sant s’épargne de jugement, il balance juste une série de faits qu'il adapte. Même si il semble détaché de la mise en scène, il y a ces plans du ciel, de la route, de personnages vivants ou morts, mise en scène macabre.
Au final, c'est le portrait d'un jeune junkie, d'une jeunesse dérisoire et d'un système prêt a changer. William Burroughs dit ironiquement dans le film : "Dans un futur proche, la lutte contre la drogue va devenir une des priorités du gouvernement.", différence de temps entre l’année des faits et celle du tournage du film : dix-huit ans.
Le film est touchant, dressant un portrait juste, sans trop de caricatures des junkies, un univers ou le dérisoire se cogne contre le dérisoire et la seule leçon à retenir et que pour comprendre un junkie : il faut en être un. "Personne ne nous comprends.", dit Bob au début du film.
Le film est une leçon juste et à la fois frappante. Composée de BO efficaces, porté par un jazz nous plongeant dans un univers spécial, le film touche le cœur. "Drugstore Cowboy" est une chronique réaliste.