Après avoir ressuscité les androïdes de Blade Runner, Denis Villeneuve s’empare avec Dune d’un autre pan considérable de la science-fiction déjà adapté au cinéma. Sa version à lui est, autant le dire d’emblée, significative de son travail de réalisateur…
On connait le talent du canadien pour figurer le spectaculaire. Sa mise en scène élabore un quadrillage minutieux lorsqu’il est question de rendre une démesure concrète à l’écran. Si le monumental des vaisseaux spatiaux ou des architectures extra-terrestres remplit la majorité du cadre, il prend toujours soin de rappeler par un personnage ou un autre élément, une mise à l’échelle permanente. Les héros sont minuscules au pied de leurs constructions, ramenés à leur insignifiance, et nous spectateurs, sommes acculés devant un monde gigantesque, écrasant et insatiable. Bluffant d’envergure.
Outre la composition rigoureuse des plans, Denis Villeneuve accroit l’inextinguible condition de cet univers, froid et sévère, similaire à l’ensemble de sa filmographie en un sens, par une direction artistique minimale: l’épure de style dans les décors, les intérieurs, les costumes, les maquillages, développe une sobriété impressionnante et presque « réaliste », tranchant avec le kitsch du Dune de David Lynch en 1984. Une science-fiction n’est pas une autre, même si toutes deux tentent de respecter scrupuleusement le roman original de Frank Herbert.
Les environnements de Dune apparaissent si vastes, aux interminables lignes de fuites, qu’elles semblent comme prolonger l’entrave dans un espace infini pour des héros prisonniers. Un sentiment presque paradoxal - thème consubstantiel au cinéma de Denis Villeneuve - qui prend ici sa plus convaincante expression. Comme la limitation de la volonté des Hommes dans l’amplitude.
Malheureusement le génie du réalisateur à filmer le gargantuesque porte un revers, la débauche de plans monumentaux contraste avec un cruel manque d’âme en leur sein... Sa vision d’auteur dévoile mais peine encore et toujours à incarner ce qu’il raconte. Premier Contact et Blade Runner 2049 accusaient déjà ces mêmes problèmes d’épaisseur. On a certes le grandiose des images, on voudrait ressentir l’épique des batailles, la douleur, la vengeance, la colère, l’excitation des guerriers avant la tempête et le désir d’émancipation des personnages. Autant de sentiments laissés en second plan, dans l’ombre des machines.
Le désert de la planète Arakis, générateur de l’épice gardée par les fameux gardiens vers des sables, filmé inlassablement sous tous les angles, et sans doute protagoniste principal de Dune finalement, représente exactement cette dissonance. Il devrait refléter la chaleur, la suffocation, le mythe; l’obstacle. Mais son rendu si terne (colorimétrie générale peu saturée dans la photographie) et léthargique dans son animation malgré les scènes d'actions rythmées, freine considérablement l’immersion au-delà de la stupéfaction première.
La promesse d’une suite – et on la souhaite malgré ce "défaut" d'expression– est évidemment corrélée à son succès au box- office… S'il bénéficie d'un large consensus parmi presse et public, pas certain que son aspect sophistiqué attire en masse dans les salles... Dune est néanmoins un film ambitieux, forcément didactique, un blockbuster d'une espèce rare aujourd'hui, contemplatif et appliqué qui dessine les contours d’une mythologie fascinante.
Nous avons eu l’odeur de l’épice. Sous nos yeux. Le grand défi pour Dennis Villeneuve consistera désormais à nous la faire pleinement respirer.