Existe-t-il une œuvre plus réputée inadaptable que Dune ? Pourtant, à y regarder de plus près, on peut se demander ce qu'il y a de si difficile à transcrire à l'écran dans l'épopée de Herbert. La démesure visuelle de ses vers des sables ou vaisseaux ovoïdes vient à l'esprit, mais là-dedans, rien que des artistes n'aient conceptualisé depuis longtemps, et que le génie numérique ne sache synthétiser aujourd'hui.
Non, en réalité, la sauce secrète de Dune, c'est son syncrétisme ultra-dense des époques et des récits - tragédie antique, récit messianique, odyssée fantastique, assortis comme si ça ne suffisait pas de fables modernes sur l'impérialisme techno-colonial et l'écologie. Ce fragile mélange, si on lui enlève l'écologie, rappelle d'ailleurs un autre space opera gros calibre : la prélogie Star Wars, qui quoique mal famée, avait assez bien relevé son pari. Il faut dire qu'elle s'était ménagé une ambition assez simple, à savoir montrer comment émerge le Mal.
Herbert, nettement moins manichéen, s'embarrasse d'un projet autrement plus compliqué : étudier de quoi est fait le pouvoir (ce qui lui vaudra d'ailleurs comme autre héritier de renom un certain George R R Martin). Où est le pouvoir ? Au sommet de la pyramide politique, chez cet empereur à l'absence assourdissante ? Chez les Harkonnen, oligarques épiciers absolus ? Chez les Fremen, riches de leur acuité aiguë de l'écosystème d'Arrakis - le fameux desert power convoité par Leto ? Chez les Bene Gesserit et leur ordre aussi secret que millénaire ? Ou enfin chez les Atréides, à l'exacte intersection de tous les précédents ?
C'est en faisant dialoguer ces forces qu'Herbert trouve un fil rouge à sa tapisserie, et c'est par là qu'attaque intelligemment Villeneuve : par la force. On se sent donc écrasé par l'ampleur olympienne de tout : la musique, les espaces, les vaisseaux, même les chapeaux, tout est enflé de la puissance sidérante des factions à l'œuvre. C'est ensuite un relatif dépouillement qui fait le travail : adieu les fioritures fantaisistes de Lynch, l'esthétique de ce Dune se concentre sur quelques traits forts et secs pour identifier les lieux et les familles - choix plutôt judicieux tant il y a déjà à absorber par ailleurs - le tout vernis d'une direction photo extrêmement léchée. On basculerait presque dans l'austérité, si ce n'était le casting quasi-parfait qui vient incarner ces figures mythologiques avec beaucoup de justesse (mention particulière au couple Atréides, Rebecca Ferguson et Oscar Isaac absolument impeccables d'ambivalence, un couteau à la main, un autre sous la gorge).
Complète, la fresque est somptueuse, vibrante et toute en clair-obscurs. Villeneuve réussit le même tour de force qu'Herbert en mettant de l'ordre dans ce kaléidoscope - ça en a presque l'air facile. On regrettera simplement un léger manque d'épaisseur dans ces dialogues d'intrigue de château (les premières saisons de Game of Thrones nous ont donné goût à mieux), et l'absence d'un petit moment de folie dans ce scénario plutôt sage. Une chose est sûre : il est indispensable que Villeneuve puisse compléter le diptyque.