La réussite d’un film tient souvent à peu de choses. Si peu qu’elle pourrait même s’apparenter à une conséquence fortuite du hasard. La suspension consentie d’incrédulité - cette fameuse foi que le spectateur place dans le film pour adhérer ou non au spectacle proposé par ce dernier - serait ainsi permise par une recette « magique » que le réalisateur aurait minutieusement pris soin d’orchestrer. Ce contrat tacite passé entre le spectateur et le réalisateur, selon lequel celui-ci décide d’adhérer à la fiction du récit en mettant son scepticisme de côté, résulte toutefois moins de la coïncidence qu’on ne pourrait penser. Cette adhésion est en fait souvent permise par l’enchevêtrement minutieux d’éléments disparates, rendue possible par un auteur soucieux du résultat et cherchant à
convaincre celui ou celle qui le contemple.
On peut attester de la véracité de ce postulat dans Dune de Denis Villeneuve, tant les éléments fictionnels du récit sont convoqués avec élégance. Ainsi, l’omniprésence du clair-obscur et de la teinte grisée sont autant d’éléments venant souligner l’opacité du scénario et des histoires familiales - les vingt premières minutes demandent de littéralement décupler ses sens pour comprendre les enjeux réels de la famille Atréides et de son héritier Paul (interprété par un Thimothée Chalamet d’ailleurs fort convaincant). En plus d’un incipit ayant le mérite d’imposer méticuleusement son cadre, Villeneuve choisît l’immersion sur Arakis par l’installation progressive d’un décor où il devient difficile de percevoir l’autre - ici, le sable qui attire la convoitise du Duc, rend également vaines toutes relations avec le colonisé, tant la poussière qu’il occasionne altère la bonne perception de son prochain. (Cf. Lawrence d’Arabie)
Le large panel de matières (la poussière, le cuire des costumes, les dagues en dent de Shai-Hulud...) densifie donc l’image mais permet notamment de contourner l’aspect technophile du film de science-fiction traditionnel. Car l’une des réussites de Dune tient en ce simple détail : Villeneuve a bien compris que pour répondre à l’engouement suscité par ce dernier, il fallait surprendre le public là où il ne s’y attendait guère. Combattre à l’épée dans un monde futuriste, voilà l’une des façons d’y parvenir. Ainsi, la surutilisation d’effets speciaux est-elle remplacée au profit d’une mise en scène relativement sobre mais non moins spectaculaire. Les scènes de combats, souvent filmées de haut, comme si le réalisateur ne voulait imposer aucune vision manichéenne, font progressivement glisser le film dans un registre épique. Le recours aux plans larges pour filmer les corps en action et la dimension futuriste délaissée au profit d’une esthétique plus discrète, renvoie enfin à un imaginaire qui s’éloigne de bien des façons du blockbuster contemporain.
De la science-fiction donc, mais qui renoue surtout avec une tradition de tragédie classique : les enjeux de pouvoir sous-jacents, la trahison du médecin de famille, l’avidité de la mère, l’héritage de Paul sont autant d’éléments venant servir de point de départ à une saga qui se rapproche bien plus de la dramaturgie qu’elle ne s’en éloigne.