Il y a chez Villeneuve comme la pulsion de l’enfant voulant prouver qu’il est capable de tout faire, un esprit de contradiction qu’il avait déjà mis en lumière en donnant une suite au cultissime monument « intemporel » selon certain et « soporifique » pour d’autre (la seconde option l’emportera pour votre commentateur en herbe), Blade Runner, le challengeur canadien aime le défi, et même si on imagine mal les studios américain mettre un véto sur le repompage d’un succès d’antan, il n’en est pas de même pour le public qui ne voudrait pas voir son objet fétiche défiguré, et en cela Villeneuve savait qu’il marchait sur des œufs, il a pourtant livré un chef d’œuvre esthétique au pouvoir contemplatif inédit, doublé d’un environnement sonore qui relèverait d’une master classe sur l’union du son et de l’image au cinéma, ils y sont quelquefois tant bien mêlés qu’on serait tenté de toucher ces objets au réalisme auditif quasi biologique, et sur le plan de l’héritage philosophique et réflexif de son ainé il n’est pas non plus laissé pour compte car même si le personnage de Niander rendait son propos nébuleux et caricatural il laissait le film nous questionner sur l’évolution technologique, l’éthique, la réalité et l’oppression des classes inférieures de façon intelligible sans être trop simpliste non plus, en bref une vraie réussite.
Mais le cas de Dune redonne du crédit au masochisme présumé du réalisateur, du fait déjà de son désir d’adapter un univers cultissime auprès de ses lecteurs, essayez d’émettre la moindre critique sur l’univers de Frank Herbert auprès de ses disciples et vous saurez qu’on peut rire de tout mais pas avec tout le monde, ensuite ce n’est pas le seul problème quand on se frotte à cet univers car son statut d’œuvre culte ne viens pas sans sa densité quantitative, 6 livres dont le premier tome fait plus de 800 pages dans le cycle original d’Herbert et s’ajoutent à ça les vingtaines de livres écrit par son fils depuis sa mort, ce n’est rien comparé à l’univers Marvel me direz-vous, qui subsiste depuis plus d’un demi-siècle, mais la différence se trouve surement dans le fait que l’univers Marvel est sans cesse rebooté, se divise en des milliers d’univers alternatif et laisse sa notion du spectacle prendre le dessus sur son penchant narratif en cause le statut d’art visuel de la bande dessiné au contraire de Dune, récit complexe enclin au changement de temporalité, aux conflits politico-magico-religieux saupoudrés de conscience écologique.
Pour ne pas arranger les choses il n’est pas le seul à s’être confronté au projet, on pense évidemment à l’adaptation de David Lynch en 1984 (que je n’ai pas vu ), qui a été un four commercial monumental : environ 31 millions d’euros de recette pour 40 millions de budget. Lynch a comme Villeneuve misé sur l’incarnation d’un de ses personnages par une star de la musique, bien que Zendaya ait déjà entamé sa reconversion depuis quelques années son choix de ca …sting n’est pas sans rappeler celui du chanteur de The Police, un univers musical que Lynch complétera en confiant sa bande originale au groupe Toto, évidemment avant lui c’est Alejandro Jodorowsky qui s’est attaqué au projet en 1973 et pendant 4 ans durant et se rendant compte de l’amplitude d’un tel projet il s’est entouré de notamment Moebius, Giger pour les illustrations, Dan O’Bannon pour les effets spéciaux, l’héritage musical qui est inhérente aux différentes adaptations de Dune n’est pas non plus absente cette fois-ci puisque c’est (entre autres) aux Pink Floyd, au groupe Magma et à Mike Oldfield qu’il confie la lourde tâche d’accompagner musicalement son œuvre, pour ne pas déroger à la règle Jodorowsky caste à son tour un chanteur de renom, Mick Jagger et ira même plus loin dans l’idée que cette adaptation doit être protéiforme et rassembler les arts pour être une réussite puisqu’il va demander à Salvador Dali de rejoindre son casting, et fait notable le réalisateur avait à l’époque approché Charlotte Rampling qui avait refusé de rejoindre son film, amusant quand on sait qu’elle va accepter presque 50 ans plus tard de faire le voyage avec Villeneuve…
Malheureusement ce film aux ambitions démesurées ne verra jamais le jour, pour cause son budget indécent et son storyboard qui aurait représenté un hyper-long-métrage de plus de 11 heures, ce film n’aura pas cessé de titiller notre curiosité, il siège tout en haut du panthéon des projets jamais réalisés.
Mais Villeneuve n’a pas peur lui, il sait ce qui l’attend, son Dune s’ouvre sur un résumé de la situation de l’univers en cours qui n’est pas sans rappeler le Seigneur des Anneaux passé maître dans ce genre d’incursion en territoire inconnu , et tout de suite on est ébahi par ces images de la planète Arrakis qui sans nul doute est réelle mais belle est bien vivante, jamais on aura vu un univers de science-fiction aussi sublimement retranscris à l’écran, malheureusement les 30 premières minutes bien que superbes visuellement sont amenuies par des acteurs en sous jeu qui jouent presque à coté, un comble pour cette palette d’acteur star et on craint même que ce soit un premier grand raté pour Thimothée Chalamet qui a la capacité de se faire aduler d’un côté comme détester de l’autre, et là forcément on pense que le poids est trop lourd pour ses épaules, mais la suite va nous prouver qu’il n’en est rien car dès la fin du test passé auprès de Charlotte Rampling ,comme si il s’agissait d’un casting à l’intérieur même du film, le caillou est enlevé de la chaussure et le film peut enfin démarrer, le choix effectué par le réalisateur de faire rentrer un si grand nombre d’information en un seul film de 2h se construit au dépend d’un scénario resserré qui donne l’effet qu’un étau aurait pu avoir sur celui-ci, mais contrairement au syndrome Justice League qui consiste à nous mettre à la place d’une personne qui partirait en retard au travail et nous faire tout le long du film courir après le temps qui n’a pas été pris auparavant pour nous faire comprendre l’univers et comprendre les personnages, une sensation que le film a toujours un train de retard et essaye tant bien que mal de reconnecter le spectateur à son histoire en lui infligeant un rythme effréné où chaque réplique doit être efficace et utile, et on aurait pas été étonné que Villeneuve prenne ce partie mais son idée du cinéma de divertissement est ailleurs, il prend non seulement le temps de développer son histoire mais retranscrit parfaitement l’œuvre d’Herbert en outrepassant évidemment certains détails mais rien qui ne nuira au découlement méticuleux d’un récit qui va multiplier les lieux, les personnages, les règles intrinsèques à la planète Arrakis et son artillerie Jamesbondesque.
La règle du grand spectacle est respecté, on en prend plein les yeux et les oreilles mais sans tomber dans un ridicule spectaculaire auquel les blockbusters de ces dernières années nous ont habitués, la réalisation est néanmoins bien moins contemplative qu’à l’habitude du réalisateur, il aime nous laisser contempler mais ne fétichise son image à la manière de Malick, il cible à la fois le tatillon connaisseur et le spectateur lambda qui en veut pour son argent.
Dune n’est évidemment pas sans défaut et celui qui viendra en tête de liste est surement son univers musical, déjà que j’ai déjà beaucoup de mal avec Hans Zimmer qui si il sait élever un film minable au rang de grand film le temps d’une scène mélangée à une mélodie de ses soins, il sait tout aussi faire preuve de paresse en s’appuyant lourdement sur la partie grave de son synthétiseur et c’est le cas dans ce film.
Cependant le fait qu’il ait ce geste lourd surlignant le drame est cohérent avec son idée semi-expérimentale d’un film bande-annonce, et ce n’est pas injure que de parler de Dune comme ça car c’est de cette idée même qu’il est question dans cette proposition : proposer un accord fraternel avec le spectateur.
Il ne va pas nous faire languir devant un Big Mac monté et mis en lumière au petit soin pour finalement proposer un sandwich dégonflé à l’air triste et défraichi, ce qu’il veut c’est proposer une copie conforme de ce qui a créer l’envie dans l’esprit du spectateur et c’est un régal de voir une promesse tenue dans un monde où l’emballage est si souvent plus reluisant que son contenu.