Il semble avec Dune que la compétence de Denis Villeneuve se manifeste avant tout par le montage. Tout a l'air d'être fait pour que celui-ci reste toujours dynamique, et le perfectionnisme déployé à cet effet a sans doute de quoi impressionner. La narration, de fait, est motivée tout du long par une volonté de clarté et d'efficacité, offrant dans l'ensemble un récit limpide et homogène.
Ce soin extrême apporté au rythme ne suffit cependant pas à combler un manque cruel de mise en scène. Et plus encore – et ce malgré le teint froid et l'épuration caractéristiques des œuvres de Villeneuve – le film manque d'une d'un réel parti-pris esthétique. Cet aspect se ressent particulièrement dans les (nombreuses) scènes de dialogues qui la plupart du temps se limitent en des champ/contrechamp dans des espaces vaguement définis. Et les images qui pourraient potentiellement manifester une certaine profondeur sont presque systématiquement sacrifiées au profit d'un montage qui se veut dynamique. C'est le cas notamment lors d'un dialogue entre Paul et sa mère : tandis qu'il est question de la possibilité mais également de l'incertitude que Paul soit bien le Kwisatz Haderach (autrement dit l'élu), celui-ci nous est montré derrière l'épaule de sa mère, son corps et sa voix à demi-voilés par la brume. Ce plan, plutôt que d'illustrer les enjeux de la scène n'est pourtant utilisé qu'entre d'autres plans de champ/contrechamp, et ne prend jamais le temps de s'installer suffisamment dans la durée pour que son sens puisse se déployer. C'est également le cas d'un autre plan, potentiellement le plus surprenant, voire le meilleur du film : on y voit, d'un bout à l'autre d'une table longue, le duc Leto Atréides nu, allongé dans une posture réminiscence des tableaux de Caravage, face au baron Harkonnen se livrant à un véritable festin. On se retrouve tout à coup dans une véritable scène de tragédie grecque, où le paradigme de la victime et du bourreau est représentée avec brio par l'opposition des corps, d'un côté un corps vulnérable, sacrificiel et martyr, et de l'autre un corps gonflé, tuméfié par l'excès (l'hubris). Tout comme l'autre exemple que nous avons cité, cette image est malheureusement sous-exploitée de par la brièveté du plan, et reste ainsi une image éprouvante que l'on ne nous donne pas le temps d'éprouver.
Les meilleures images seront finalement à attribuer à l'équipe en charge des effets spéciaux, à qui l'on doit les seuls moments où le film parvient à retranscrire un sensation d'immensité, comme en témoignent les scènes assez réussies de vers des sables, et l'effet organique de vagues qu'ils provoquent à leur passage. La limite se trouve justement au moment où l'humain entre en équation, tant le peu de mise en scène ne permet pas de retranscrire pleinement les enjeux de son rapport avec ce qui le dépasse (que ce soit l'immensité, le destin ou la fatalité, termes encore une fois empruntés à la tragédie). De fait, la scène d'assaut, le pivot du film, ressemble plus à un spectacle pyrotechnique qu'à une véritable scène de massacre.
Du projet de tragédie grecque transposé à l'échelle cosmique qu'est en partie l’œuvre de Frank Herbert, Villeneuve semble finalement assez bien comprendre l'aspect prophétique mais peu, ou sans parvenir à le retranscrire, le rapport de fascination et de terreur que l'humain entretient avec ce qui dépasse l'entendement.
En définitive, pour un récit d'une telle ampleur, cette version de Dune manque paradoxalement de largesse et souffre cruellement d'être contenue par une volonté constante de maîtrise. Il en résulte une épopée à la veine mystique quelque peu tarie, sans volonté de transcendance ni soif d'inconnu.