Depuis le succès mondial de sa trilogie Batman, chaque nouvelle réalisation de Christopher Nolan est un petit événement en soi, et près de 3 ans après son Interstellar, sorte de film-somme de son cinéma, où les concepts visant à déstructurer les codes scénaristiques étaient à la fois sa force et sa limite, on était curieux de savoir comment il allait rebondir. Dès l’annonce de la préparation d’un film de guerre dans le nord de la France, la question qui agitait tout le monde était la forme qu’allait prendre sa narration pour nous relater les dernières heures d’une débâcle militaire. Celle-ci, en 1940, marqua la fin de la souveraineté française et des espoirs britanniques de lui venir en aide. Un sujet pas très contemporain et donc a priori bankable pour Hollywood, mais forcément passionnant quand il est développé par pareil artiste...
La grande surprise en se plongeant dans Dunkerque est la sobriété apparente de l’écriture. En nous faisant suivre les parcours de trois hommes impliqués dans cette opération militaire, Nolan semble se calquer sur un modèle efficace dont la référence pourrait être Le Jour le plus long. L’idée de Nolan pour apposer son désormais gimmick consistant à déconstruire la linéarité d’un schéma aussi classique est d’avoir apposé à chacun de leurs récits une temporalité différente, ce qu’il annonce dès le début : La jetée, une semaine / La mer, un jour / Le ciel, une heure. La notion du temps prend donc une importance capitale dans la mise en scène de ce récit. Ainsi, le montage alterné entre les scènes du soldat sur la plage joué par Fionn Whitehead, un parfait inconnu que l’on reverra rapidement, le pêcheur patriote (Mark Rylance) et le pilote de la Royal Air Force (Tom Hardy), ont pour vocation de nous perdre dans le déroulement des événements, et ainsi participer à un sentiment de chaos ambiant et étouffant...
Avec Dunkerque, Nolan perfectionne son style : les images signées par Hoyte Van Hoytema (James Bond : 007 Spectre), la musique de Hans Zimmer soulignent, avec ferveur, l’émotion qui se dégage de ces vies broyées, de ces vagues teintées de rouge, de ces avions virevoltants qui tirent leurs dernières rafales, de ce navire de la Croix-Rouge coulé dans le port. Peu de mots, mais des visions. Peu de dialogues, mais des cadrages superbes. Pas de pompe, surtout. Même le discours final de Churchill, pourtant célèbre ("Nous nous battrons sur les plages. Nous nous battrons sur les terrains de débarquement. Nous nous battrons dans les champs et dans les rues…") est glissé, sans trémolo, dans le film : un soldat le lit, sur un ton désabusé, dans un journal. Le film se termine ainsi, sombre et poignant...
Christopher Nolan délivre donc un film de guerre absolument remarquable, dont la beauté formelle n’a d’égal que l’épure narrative. Véritable expérience de cinéma, tant sur le plan émotionnel que sensoriel, Dunkerque s’impose comme une œuvre immersive, haletante et profondément humaine. Un des meilleurs films de l’année, assurément !!!