Dunkerque succède à Interstellar, film quelque peu boursouflé, foutraque et prétentieux, qui clamait haut et fort son ambition de détrôner 2001, L’Odyssée de l’Espace. Et force est de constater que Nolan a cette fois adopté la posture précisément inverse : ici, humilité et sincérité deviennent les maîtres mots. Là où Interstellar s’étalait sur deux heures cinquante, Dunkerque se contente d’une heure de moins. Et à la place de ce récit de conquête spatiale virant dans le métaphysique, c’est ici à la lutte pour le repli qu’on assiste. La technologie rutilante laisse place à la boue, à la mousse et aux eaux âpres et salées de la Mer du Nord. Et c’est vrai qu’après Interstellar, le troisième Batman ou Inception, on sentait venir l’overdose de ces films-univers aux intentions toujours bonnes, mais atteints d’un certain problème de surenchère. Dunkerque brille d’être terne. Les héros que l’on suit n’en sont pas : tout juste des gens qui, jetés là, tentent de survivre, ou de donner un coup de main. Et héroïque, l’action ne l’est pas plus : les troupes britanniques, et françaises, encerclées par les Allemands à Dunkerque, doivent être rapatriées en Angleterre. C’est ce Débarquement à l’envers qui constitue le seul sujet du film. Le propos consiste simplement à nous immerger dans quelques heures de ces soldats, aviateurs, marins, qui affrontent, tout autant que la peur de la mort, celle de survivre et d’être traités de lâches de retour au pays. Pas de jugement, pas de grande révélation sur le sens de l’existence, pas de métaphore ampoulée sur la liberté ou le dévouement. Nolan regarde avec nous, et nous invite à souffrir avec eux.
Tout cela avec un sens esthétique très, très au-dessus de la moyenne. L’utilisation de la pellicule 70 mm se révèle incroyablement pertinente. Elle offre aux images un grain riche et sale, poussiéreux, collant, qui sert à merveille le propos comme l’immersion. Un format numérique, lisse et aseptisé, n’aurait rien donné de bien intéressant ici. L’utilisation d’images de synthèse a également été presque proscrite, et grâce à ce choix courageux, il y a fort à parier que Dunkerque ne vieillira jamais. La composition des plans est souvent irréprochable, tandis que les choix de couleurs, naturalistes à l’extrême, nous immergent dans les gris, les bleus sombres et le sable.
Cela étant, quelques heures après la sortie de la salle, on en vient à se demander quelle trace laissera Dunkerque. Bien sûr, on pensera à lui dès qu’une conversation s’orientera sur les films de guerre les plus réussis visuellement. Sur ceux, les plus viscéraux, qui sont parvenus le mieux à nous tenir dans l’angoisse et l’anxiété. Mais en termes de propos, de fond, c’est là que, peut-être, Nolan est allé un peu trop loin dans le reniement de ce qu’il avait incarné jusque là. Applaudissons, bien sûr, le courage anticommercial de filmer une victoire-défaite ambigüe, aux leçons difficiles à tirer. Et certes, sans doute s’agissait-il de montrer la guerre dans son absurdité, dans ce qu’elle a de moins héroïque. Peut-être aussi le film ne laisse-t-il qu’une marque légère car il refuse de se centrer sur un héros unique. C’est un choix, lui aussi, d’un grand courage, et remarquablement bien implémenté dans le scénario et le découpage du film. L’armée britannique nous apparait alors comme le collectif d’anonymes qu’elle était réellement, où la volonté individuelle et héroïque ne laisse jamais de trace notable.
Et en même temps, ce n'est qu'en se focalisant intensément sur une poignée de personnages que les Deer Hunter, les Full Metal Jacket ont su nous dire autant de choses.