Soderbergh, c'est une sorte d'électron libre du cinéma américain. Ce n'est pas que le réalisateur est clairement un ovni du Septième Art, mais plutôt un auteur qui a su garder une certaine liberté de style et de traitement, ne s'enfermant jamais dans un genre prédéfini, naviguant entre plusieurs thèmes narratifs, en passant du film bon marché ("Ocean's Eleven") au film expérimental ("Girlfriend Experience").
Alors certes, la filmographie de Soderbergh est inégale. Alors que certains films restent et marquent, d'autres s'oublient aussitôt. C'est notamment le cas de "Piégée", qui tout en restant maîtrisé et efficace, n'est pas un film mémorable.
Et arrive donc "Effets secondaires", le long-métrage ultime de Soderbergh, qui a annoncé sa retraite artistique (après "Behind the Candelabra", qui devrait sortir sous forme de téléfilm). Un film étonnamment efficace et maîtrisé. Un film aux influences hitchcockiennes, grâce à un classicisme esthétique assumé et un habile traitement du suspense. Une œuvre minimaliste donc, mais finalement extrêmement riche.
C'était peut-être l'intention esthétique parfaite, pour conclure en beauté sa filmographie.
"Effets secondaires" suit le parcours d'Emily, une dépressive de première catégorie, qui a du mal à construire sa vie depuis que son boyfriend est passé par la case prison. Dès lors, Emily tente le suicide, mais en vain. S'en suit donc une phase de guérison psychiatrique, gérée par l'ambitieux Docteur Jonathan Banks. Un médecin attentif et impliqué, bien décidé à aider sa patiente en lui prescrivant un nouveau psychotrope "à la mode", dont il effectue lui-même une étude clinique : l'Ablixa. Mais lorsque Emily rentre en contact avec ce médicament miracle, un drame se produit. Et c'est la carrière du Docteur Banks qui est remise en cause...
Un scénario fouillé et méticuleux, signé Scott Z. Burns, un compère de Soderbergh, déjà à l'écriture pour "Contagion" (et précieux bras droit de Tony Gilroy, le scénariste de la saga "Jason Bourne"). Autrement dit, le milieu médical lui est familier. Et cela se ressent à chaque instant, tant la vraisemblance des propos engagés et des situations narrées sautent aux yeux.
Mais Z. Burns nous livre également un récit aux multiples ficelles narratives, laissant guère de répit au spectateur. Un récit qui s'accorde à merveille avec la réalisation calibrée de Soderbergh (jouant avec les couleurs froides et les échelles de plans). Reste également la musique inquiétante de Thomas Newman.
Un scénario psychologique porté par un casting sur mesure. Rooney Mara est parfaite dans le rôle de cette femme aussi fragile qu’inquiétante (sa maigreur prononcée y joue beaucoup...). Jude Law excelle littéralement dans la peau de ce médecin carriériste, à la fois antipathique et attachant. Catherine Zeta-Jones étonne, tant son personnage est glacial. Enfin, Tatum s'impose comme le dernier acteur fétiche du réalisateur.
"Effets secondaires" est un film intelligent. C'est le mot qui le résumerait le mieux. Non seulement parce que le récit s'accorde à merveille avec les intentions techniques, mais surtout parce qu'il met en lumière une industrie sombre et terriblement inquiétante. Une industrie qui touche avant tout le monde professionnel, comme tente de le montrer ce film. Un univers social où le stress et la férocité humaine règnent. Et un milieu qui est également dicté par le secteur publicitaire, qui s'efforce de vendre du rêve en prenant comme objet la maladie.
Le Docteur Banks résume d'ailleurs assez bien le sujet, à travers une phrase toute pesée : "De là où je viens (Angleterre), quand un homme vient voir un docteur, c'est qu'il est malade. Aux Etats-Unis, quand un homme prend un médicament c'est qu'il va mieux".
Une tirade qui fait réfléchir et que Soderbergh écrit noir sur blanc, sur une sorte de film-testament.