Adapté d'un roman de Fontane, équivalent du Madame Bovary de Flaubert ou d'Anna Karénine de Tolstoï, ce film de Fassbinder propose une lecture resserrée du texte, dans la mesure où aucun mot n'en est pas issu. Nonobstant cette littéralité ou littérarité, Fassbinder réussit à y laisser sa trace, à imprimer sa voix dans le texte. Ainsi, les cartons portant aphorismes, les jeux de miroirs, les cadres de fenêtres, la voix d'un narrateur permettent au spectateur de voir se dérouler non une action, mais une narration, de laquelle il est tenu à distance par le réalisateur. Cet éloignement engage le spectateur dans une réflexion sur sa propre situation, au-delà même de l'Allemagne d'après-guerre, contemporaine de la réalisation.
Effi Briest grandit, se marie, devient Instetten, s'ennuie, convole. Son époux découvre l'infidélité six ans après, tue l'amant en duel, quitte son épouse et garde leur fille. Mourante, Effi, autrefois Instetten, redevenue Briest, se tourne vers Dieu et meurt dans son lit d'enfant.
Après l'adultère, Effi ne ressent aucune culpabilité, mais craint seulement l'opprobre, la honte, le scandale ; après sa découverte, son mari ne ressent aucune haine, mais craint seulement le déshonneur. Tous deux, en dehors de la société, auraient très bien pu rester ensemble et vivre leur vie. Toutefois, les contraintes sociales poussent l'époux à sauver l'honneur dans un duel absurde.
Dans ce passage central, on comprend bien le propos anticonformiste du réalisateur. La société impose des obligations superficielles, un paraître (Schein), qui empêchent tout un chacun de se réaliser, de combler ses désirs, d'aimer pour de vrai, de croire, d'être libre, d'être (Sein) authentique. Tout sentiment réel est refoulé au profit d'une vie sociale factice ; l'individu est opprimé par les conventions.
En effet, le nom d'Instetten, le mariage, ont aliénée, dépossédée Effi de son identité et de ses ambitions de jeunesse. Pour cette raison, sa tombe porte son nom de jeune fille, unique époque de sa vie où elle a proprement vécu ses possibilités, ses espoirs. (D'ailleurs, contrairement au roman de Flaubert, dont l'héroïne porte les mêmes initiales, ce roman de Fontane a conservé pour titre le nom de l'enfance.)
Concernant l'image, ce film nous propose de très beaux travellings dans la campagne, des escaliers vertigineux en contre-plongée, une photographie incrustée, et des jeux de miroirs métaphoriques où le reflet l'emporte sur la réalité. Ce travail de l'image n'est pas dénué d'une certaine poésie, dans la mesure où le quotidien le plus trivial nous est parfois rendu étrange par un regard particulièrement original sur le monde.
Il est probable que, dans un monde où notre être entre en pareille contradiction avec la société, le seul salut nous soit offert par la beauté dans l'art.