Pas revu depuis 21 ans jour pour jour (et même pas fait exprès!), découvrir « Elephant Man » au cinéma dans une copie restaurée était une aubaine pour tout cinéphile qui se respecte. Avec à la fois de l'excitation tant mes souvenirs étaient lointains, et la crainte d'être déçu par une œuvre adulée. C'est toutefois largement le premier sentiment qui l'emporte tant celle-ci, sans doute pas la plus personnelle de son auteur (quoique), mais probablement sa plus belle et en tout cas la plus accessible sans être complètement perdu au bout d'une demi-heure. Si les toutes premières minutes laissent envisager un spectacle à la « Eraserhead », nous sommes très rapidement rassurés (oui, je n'aime pas trop « Eraserhead ») par la suite des événements tant le cinéaste sait jouer d'un classicisme assumé pour raconter une histoire qui ne l'est absolument pas.
Un récit d'une force et d'une dignité parfois bouleversantes, éprouvante mais jamais gratuitement, jouant très intelligemment de l'extrême difformité de son héros pour montrer autant ce qu'il y a de plus beau et de plus ignoble dans la nature humaine, digne héritier du « Freaks » de Tod Browning ou précurseur de certains titres de Tim Burton. Pourtant, ce n'est jamais caricatural : certains personnages sont haïssables, mais ont des « raisons » d'agir comme tel, tandis que la manière dont évalue peu à peu le regard de certains vis-à-vis de John Merrick, par petites touches, sobrement, subtilement, est à l'image de l'indescriptible sensibilité qui va se révéler chez notre protagoniste, s'éveillant enfin à la vie après des années de ténèbres et d'humiliation.
Le tout enveloppé dans un noir et blanc aussi surprenant que du plus bel effet, accompagné d'une somptueuse musique et porté par une interprétation sans faille : les seconds rôles sont tous impeccables, Anthony Hopkins signe l'une de ses plus belles prestations tandis que John Hurt est bouleversant dans le rôle-titre (nom d'ailleurs abject tant il n'a strictement rien à voir avec la maladie du héros). Sans oublier quelques scènes absolument déchirantes
(la rencontre avec la grande actrice de théâtre, la poursuite dans le métro),
tandis que Lynch ne peut s'empêcher de conclure sur un dénouement étrangement
cosmique,
mais la réussite est telle que ça ne m'a pas dérangé, au contraire : j'ai trouvé ça beau, cette note d'espoir, d'universalité faisant presque du bien après tant de mises à l'épreuve effroyablement injustes. Un modèle de biopic et un modèle tout court : merci, monsieur Lynch.