Un biopic, si l'on ne prête pas le moindre intérêt pour son sujet dès le départ, cela peut s'avérer plus que compliqué. D'autant, lorsque ce sont des réalisateurs inconnus au bataillon qui se collent à la tâche, dont le rendu inspire plus le produit de relance de ventes musicales qu'un véritable objet de cinéma (qui se souvient par exemple du terne Get On Up et sur le plan cinématographique, de l'insignifiant Respect sur deux sujets pourtant passionnants ?).
Si Presley n'était pas le sujet le plus adéquat à attirer une certaine branche du public (en témoigne, quelques passages où la bande-son RnB se fait entendre, et aboutissant sur un rap nous faisant en quelque sorte revenir à la réalité), l'annonce de Baz Luhrmann à la tête du projet avait de quoi titiller la curiosité des plus réfractaires. Force est d'avouer que le pari est relevé.
Premier parti-pris qui séduit l'assidu de cinéma narratif que je suis, le choix de s'être basé sur un témoignage de personnage réel pour la construction du récit. J'ai évidemment songé à ce même choix employé dans La Môme, en moins décousu et plus chaleureux, tout en supposant que c'est davantage vers le format d'Amadeus que Luhrmann s'est tourné, les deux ouvrant sur les paroles du personnage le plus proche du sujet vis-à-vis de la dispartion de ce dernier, pour aboutir à deux formes distinctes de réconciliation implicite. Cette perspective de nous montrer l'Histoire sous un angle précis, si elle peine à se déployer à des moments où il aurait été pertinent, est le meilleur biais qui soit pour contourner l'écueil de la paraphrase de Wikipédia.
Rien de bien nouveau pour qui connaît le cinéaste, puisque c'est justement la question du point de vue qui permet de conserver l'aspect théâtral qui lui est si cher. Tout en restant en marge de la tentation du biopic leste comme il en sort une poignée par an, "Elvis" tutoie aisément le tourbillon musical offert par Luhrmann avec Moulin Rouge! en même temps qu'un zeste de l'austérité d'un Gatsby.
Inutile de dire que le film est porté sur les épaules des excellents Tom Hanks et Austin Butler, dont l'énergie flambe avec endurance toute longueur au cours de ces 160 minutes. Vocalement et physiquement sa prestation est bluffante, joli morceau pour un petit trentenaire qui ne s'est alors illustré que dans une poignée de séries en vogue.
Elvis brille aussi par son absence de superlatifs et de numéros musicaux à rallonge, optant plutôt pour un bel équilibre entre la reproduction des prestations scéniques du chanteur qui ont fait tant de ravages en leur temps et les séquences développant la relation Parker/Presley. Celles-ci construisent le récit sous un classique format ascension plus décadence en partant de l'amitié entre l'artiste et l'imprésario, qui tournera assez vite vers une rude histoire commerciale. On ne se contente pas, encore heureux, de diaboliser Tom Parker, le film est plus malin que cela.
Sur son lit de mort il confesse, et quiconque sera apte à croire ou douter de son honnêteté, surtout quant au monologue final qui clarifie nos croyances quant au traitement réservé à l'amour tout le long.
Réussissant à contourner les facilités du genre, Elvis, en dépit de sa trame classique, n'est pas qu'un bête produit académique mais un spectacle qualitativement respectable. Il ne manque pas d'idées, ni de rythme, peut-être juste qu'un zeste d'émotion supplémentaire aurait été le bienvenu atteindre le point culminant. En outre, Cannes ne s'est pas gouré en le projetant hors-compét, décidément riche en grands moments de fraîcheur cette année.