Présenté en Compétition au dernier festival de Cannes où il a fait forte impression, le dernier film en date de Jacques Audiard, Emilia Pérez, est disponible en salles depuis près d’un mois. Chanceux d’avoir pu assister à la première projection mondiale à Cannes, et l’excitation ayant du mal à redescendre durant le visionnage, il faut dire que ce second a été fort bénéfique. Ce n’est pas pour rien que tous murmuraient et pronostiquaient une Palme d’or - qui aurait été décernée à juste titre. Emilia Pérez peut néanmoins se vanter d’obtenir deux prix - dont un collectif pour quatre actrices - ce qui n’était pas arrivé depuis belle lurette, c’est dire si le choix du jury a été plus que difficile dans cette compétition de haut niveau.


En effet, du niveau et du génie, il y en a derrière ces images, et un chef d’orchestre pointilleux à la barre. Audiard, après son fantastique travail sur Les olympiades qui magnifiait déjà les corps dans un noir et blanc exquis, exporte son talent tout droit vers Mexico pour nous offrir des images du plus bel acabit, avec cette fois-ci un mélange des genres particulièrement pertinent. À travers cette ambition démesurée de raconter cette histoire de chef de cartel souhaitant changer de sexe à l’aide de séquences musicales, le réalisateur nous plonge dans un univers fantaisiste mais également bouleversant. Manitas, apparaissant dans la pénombre avec de lourds bracelets aux poignets qu’il traîne tels des menottes, souhaite vivre la vie qu’il souhaite et changer de sexe. Derrière ce choix, il y a aussi la volonté évidente de refaire sa vie, loin de la violence qu’on ne peut qu’imaginer en étant à la tête d’un cartel de la drogue. Mais Audiard fait un choix très intéressant en montrant que ce changement ne change pas la conscience ni l’âme de la personne. Rien ne peut être effacé ou oublié, et parfois, la violence fait partie intégrante d’une personne, tel un instinct primaire. Il le montre au détour d’une scène où Epifanía révèle qu’elle est venue avec un couteau, et Emilia, à son tour, révèle qu’elle possède une arme à sa ceinture : sur le coup, c’est assez cocasse, mais ce que cela révèle est pourtant glaçant : c’est elle le gros bras, c’est elle la menace, c’est elle qui détient les reines. C’est ancré en elle. Cependant, c’est en changeant ses actes qu’elle va essayer de devenir une meilleure personne et ainsi cultiver son désir de rédemption, notamment en se rapprochant de ses enfants, au détour musicale pouvant arracher toutes les larmes de votre corps (vous êtes prévenus). Ce changement n’influe pas sur les actes passés qu’il a commis, pas plus que sur son âme, mais elle va essayer de faire le bien désormais.


Emilia Pérez c’est aussi un film sur le désir. Rita ne veut plus être soumise à son travail et souhaite que son talent soit utilisé à bon escient, Emilia n’aspire qu’à vivre sa vie de femme et Jessica, toujours en deuil, souhaite être à nouveau désirée, aimée, baisée. Sans son mari, on la nomme plus que Jessi. Mais à la révélation finale, elle redevient Jessica, elle redevient entière avec son mari, sa moitié qui est dans ses bras. Toutes les trois veulent être libres, enfin.


Au-delà de la performance forte en émotions de Karla Sofía Gascón, c’est Zoe Saldaña qui impressionne ici dans un registre où on ne l’attendait pas forcément. Sublimée par des costumes signés de la maison Saint Laurent - qui apporte clairement une plus value ici - elle porte le film sur ses épaules et pourrait sans surprise décrocher une nomination à l’Oscar de la meilleure actrice l’an prochain, et pourquoi pas décrocher la précieuse statuette. Enfin, impossible de clore cette critique sans un mot sur la musique et les performances musicales de haute volée qui apportent ce qu’il faut de délicatesse et de messages pour nous envoûter et porter le film parmi les meilleurs de l’année.


Emilia Pérez s’inscrit parmi les films les plus marquants de l’année, par son mélange détonnant de musical, drame et thriller, tout en ayant un cœur immense qu’on ne saurait oublier au fil des mois. Les spectateurs du monde entier s’apprêtent à découvrir le film, nous sommes les premiers et nous sommes déjà conquis.

Mick1048
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le 17 sept. 2024

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