Lorsqu'il annonçait pendant la promotion des Olympiades qu'il s'affairait désormais à une comédie musicale se déroulant au Mexique, c'est peu dire que Jacques Audiard avait surpris du monde, comme le font, il va falloir s'y faire, chacun de ses films.


Force est de constater, au vu du résultat, qu'Audiard déborde d'une sincérité et d'une honnêteté rares, se prêtant parfaitement au jeu du genre qu'il embrasse, du Mexique dont il emprunte la langue espagnole et dont il semble prendre un plaisir fou à filmer les paysages et les villes.

Par sa forme résolument unique et colorée, audacieuse par ses partis pris esthétiques, par sa thématique queer et engagée, Emilia Pérez démontre qu'à 72 ans Audiard est peut-être et paradoxalement le réalisateur le plus jeune de la génération contemporaine de cinéastes français.


Mais il faut bien avouer que ce résultat, aussi authentique soit-il, peine in fine à convaincre tant son réalisateur, par gourmandise et démesure dans l'inventivité et la réinvention constantes, semble régulièrement ne pas savoir où aller ni que faire de ce dans quoi il s'est lancé.

Le film se mue alors en objet hybride roulant sur une crête étroite entre le grossier et le vulgaire, le superbe et l'onirique, le ridicule et le poignant, le saisissant et l'ennuyant, le rythmé et le plat, l'outrancier et le subtil, le gracieux et le maladroit.


Dans sa première partie, le récit aux quatre coins du monde est troué par des péripéties et découpé en ellipses saccadées contre-productives. Côté chansons (écrites notamment par la française Camille), la cible est initialement ratée la faute à une multiplication presque forcenée d'occasions musicales (la moindre phrase devient une chansonnette), mais touchée plus tard par l'allègement du rythme et la préférance pour des chorégraphies superbes et renversantes (Zoe Saldana, à la présence physique précise, est éblouissante). On retiendra l'habitée "El Mal" pamphlet anti-corruption, et le moment suspendu où Emilia découvre à nouveau l'amour.


Puisqu'au delà d'un propos social qui, malgré la production des frères Dardenne et quelques saillies somme toutes très faciles, est totalement laissé de côté alors qu'il habitait la plupart des films du réalisateur, Audiard ausculte la quête de rédemption, non pas la vengeance, non pas la culpabilité, mais bien la résilience, l'oubli, le rachat, l'amour de soi et la propre acceptation de qui l'on est. Chacune de ses quatre personnages principales traverse, à son niveau, ces questionnements existentiels. En faisant de l'immonde Manitas, chef d'un des plus terribles cartels du Mexique la "reine" Emilia Perez qui dénonce politiquement ses crimes passés, le film soulève une thématique brûlante et pas moins intrigante ; puisqu'on pourra aisément questionner le parti pris consistant à rendre très attachant (cela fonctionne) un personnage à l'origine haïssable, et même plus encore la teneur de la relation qu'entretient le réalisateur avec son personnage (Amour ? Admiration ? Haine ? Indifférence ?) tant, par pas mal d'incohérences et de raccourcis de scenario, il semble parfois préférer la fable à la morale.


On pourra enfin, entre deux images sublimes, deux visions suspendues et surréalistes (qui font, soyons honnêtes, d'Audiard un grand faiseur d'images marquantes), questionner un autre parti pris scénaristique, celui qui réduit la transition de genre de Manitas, outre à un évident désir profond (qui semble un peu forcé dans l'intrigue), à une tentative de fuite, à une manière d'échapper à ses responsabilités et à sa culpabilité, et, peut-être plus problématique encore, cette manière qu'a le récit, dans sa construction, à faire attendre impatiemment chez le spectateur le moment de la révélation, de la découverte du secret, renvoyant ainsi sans cesse Emilia Pérez non à la femme qu'elle est, mais à l'homme qu'elle fut.

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le 18 sept. 2024

Critique lue 114 fois

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Charles Dubois

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