Enquête sur une passion est certainement un film qui mérite d’être vu au moins deux fois pour en saisir toute la finesse et la subtilité. À partir d’une histoire somme toute très banale, une relation passionnelle qui se termine fort mal, Nicolas Roeg montre magnifiquement le tumulte de la passion et des pulsions.
Le montage est complètement éclaté et on sait que le réalisateur considère le cinéma essentiellement comme un art du montage. Le film se présente donc comme un puzzle où se mêlent plusieurs temporalités, fantasmes et souvenirs. Il y a pourtant des liaisons entre les différents morceaux de l’histoire mais elles ne reposent pas sur une démarche logique ou intellectuelle mais sur des éléments sensoriels comme, par exemple, tout simplement allumer une cigarette ou, de manière bien plus osée, passer d’un spasme charnel à un spasme d’agonie, référence évidente à Eros et Thanatos.
Tout oppose les deux amants. Elle, Milena, femme libre, instinctive et qui, même amoureuse, veut conserver son indépendance et vivre au jour le jour. Lui, Alex, psychiatre un peu coincé et hautain qui voudrait tout contrôler, certainement dirigé par son surmoi, mais tout de même capable des pires pulsions du ça comme le montre une scène que je ne dévoilerai pas ici.
Il est manifeste que le réalisateur prend le parti de Milena. Il déclarera même qu’il est dans une situation semblable à elle. De la même façon qu’Alex veut absolument faire entrer Milena dans un cadre, les studios ont toujours cherché à le faire lui-même entrer dans un cadre.
L’interprétation est tout à fait exceptionnelle, Theresa Russell est absolument sublime et le chanteur Art Garfunkel est vraiment parfait dans son rôle de psychiatre coincé, sans oublier Harvey Keitel, dans le rôle d’un inspecteur qui prend vraiment et très étrangement l’affaire à cœur.
Le film comporte plusieurs scènes absolument bouleversantes, notamment celle où Milena pique une crise et canarde Alex avec des bouteilles tout en menaçant de se jeter par la fenêtre, ou l’admirable scène finale dans laquelle, alors que tout est fini, leurs regards se croisent, l’une sortant, l’autre entrant dans le même taxi. Elle restera une femme libre, lui part dans le taxi comme toujours enfermé dans sa propre prison.
Il faut ajouter que les œuvres d’art ont toujours occupé une place importante pour le réalisateur. Ici, dès le début du film, si l’on est attentif, la clé nous est donnée par des œuvres d’art. Milena et Alex visitent une exposition, et subtilité supplémentaire on ne sait pas vraiment à ce moment-là s’ils se connaissent ou s’ils ne se connaissent pas, et commencent par regarder le célèbre tableau de Gustav Klimt, Le baiser, tableau lumineux sur la beauté de l’amour, puis après quelques détours on voit apparaître le tableau La mort et la jeune fille d’Egon Schiele.
Pour finir, la cruelle vérité de la passion amoureuse est aussi annoncée dès le début du film. Alex, face au tableau de Klimt, Le baiser, murmure cette phrase aussi vraie que cruelle : « Ils sont heureux. C’est parce qu’ils ne se connaissent pas encore bien. »