Troisième volet d'une trilogie entamée par The Element of Crime et poursuivie par Epidemic, Europa ressemble en tout et en rien à ses prédécesseurs. Nettement plus cérébral, Epidemic ne jouait pas forcément avec la poésie morbide qui imprégnait l'atmosphère de The Element of Crime. Et aux yeux de Lars von Trier, Europa reste avant tout un film pour le grand public, afin de lui laver les yeux "des films de merde que sont Le Silence Des Agneaux et Terminator II" selon ses propres aveux durant une interview lors du 44e Festival de Cannes où Europa récolta le Prix de la Commission Supérieure Technique. Un prix qui reste tout à fait logique vu l'époustouflante teneur visuelle de l’œuvre.
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans l'Allemagne de 1945, Leopold Kessler, un Américain d'origine allemande, débarque dans un pays ravagé où il devient contrôleur de wagons-lits. Il tombe amoureux de la jeune Katharina et accepte l'offre d'un officier américain à combattre une frange de terroristes qui n'accepte pas la défaite allemande. Une frange où Katharina officie secrètement en tant que nazie convaincue...
La troublante quête d'identité qui illustre le fond de l’œuvre aurait vraisemblablement semé le doutes dans l'esprit des critiques de l'époque qui ont cherché un angle d'attaque moral pour démolir le film sans arriver à concrètement l'analyser. C'est bien connu, et c'est d'ailleurs toujours d'actualité, les premiers choqués par une œuvre artistique sont aussi les premiers à ne pas pouvoir expliquer pourquoi ils le sont. Et en ce sens, Europa reste une incontestable réussite en terme d'émotions en narrant l'histoire de cet homme politiquement vierge qui s'implique, via des raisons sentimentales et professionnelles, dans un combat qu'il a du mal à mener de front. Sorti en salles quelques mois après l'écroulement du bloc de l'Est et la réunification des deux Allemagne, le 3e long-métrage de Lars von Trier est d'une actualité brûlante en 1991. Une actualité envers laquelle le cinéaste danois ne prend aucunement position, choisissant la neutralité à l'instar de son personnage principal qui refuse de se limiter à définir qui sont les bons et les méchants et en illustrant son propos final par la victoire de la poésie sur la politique.
Fils d'une mère résistante et d'un beau-père juif, Lars von Trier n'a aucunement à se justifier sur les soupçons que les critiques professionnels lui porteront à la sortie d'Europa. Jusqu'au-boutiste, il provoquera pourtant les journalistes durant de longues années avec des propos ambigües qui feront couler énormément d'encre. Une publicité inespérée pour ses œuvres difficiles d'accès et qui sont, pour la plupart, des succès commerciaux.
Utilisant ici la technique de l'hypno-vision, procédé utilisé 3 ans plus tôt par Bigas Luna pour son excellent Angoisse (une technique dont les séquences hypnotiques offrent quelques jolis délires visuels), le futur réalisateur de Breaking the Waves exerce un pur pouvoir attractif sur le spectateur en lui offrant un résultat visuel aussi pragmatique qu'unique où noir, blanc et couleurs ensorcèlent littéralement un fil narratif violemment minimaliste. En grand manipulateur à l'intellectualisme roublard, Lars von Trier réalise tout simplement l'impossible : un pertinent film expérimental pour le grand public.