Film de science-fiction ayant pour thème l’intelligence artificielle (I.A), Ex Machina se déroule comme un huis-clos réfléchi et anxiogène. Il s’agit de la première réalisation d’Alex Garland, auteur-scénariste formé à l’école Danny Boyle (Trainspotting, La Plage, Slumdog Millionaire…).
Il y a à peine quelques mois, sortait sur YouTube un court métrage de mon cru nommé Empathie d’un corps artificiel. Son pitch est simple : un roboticien vivant reclus dans son garage élabore clandestinement une gynoïde doué de conscience et de parole. Vous pouvez le retrouver au bout de ce lien.
Le 3 juin dernier, sortait en salles un intriguant film de science-fiction traitant du même sujet mais de manière plus sombre, torturée (et professionnelle, cela va de soi). Ma modeste fiction, qui tentait d’aborder la machine d’un point de vue humain, sentimental et poétique, eut abouti sans connaissance de cet Ex Machina. Quelle ne fut pas alors ma surprise lorsque je le découvris. Je venais de voir l’anti-Empathie d’un corps artificiel.
Toujours est-il qu’Ex Machina (stylisé EX_MACHINA dans sa campagne de distribution), est le premier film d’Alex Garland. Avant de passer derrière la caméra comme beaucoup le font cette année, cet auteur de 45 ans a signé le roman La Plage et travaillé en tant que scénariste sur 28 jours plus tard, Sunshine ou le remake de Dredd.
I.A.
Tout commence lorsque le jeune Caleb (Domhnall Gleeson), programmeur pour la société Bluebook, remporte un concours organisé en interne. Sa récompense : une invitation dans la résidence ultra-sécurisée du PDG, le versatile Nathan (Oscar Isaac). Ayant pour seule compagnie Kyoko (Sonoya Mizuno), sa domestique, ce dernier vit reclus depuis des années dans ladite résidence. Son lieu de travail y est même implanté : un laboratoire futuriste où sont réalisées moult expériences sur l’intelligence artificielle. Personne, hormis Caleb, ne sera mis dans la confidence de ces expériences, impliquant notamment le test de Turing.
En effet, Nathan élabore une intelligence artificielle prétendument douée de conscience. Mais pour en avoir le cœur net, c’est un tiers qui n’en a pas une connaissance subjective qui est chargé de la questionner : Caleb, plein d’entrain. S’ensuit une série de dialogues existentiels entre le jeune homme et Ava (Alicia Vikander), l’intelligence artificielle en question. À l’instar d’Empathie d’un corps artificiel, celle-ci apparaît sous la forme d’une gynoïde, un robot spécifiquement conçu pour ressembler à une femme. C’est pourquoi une étrange alchimie (ou plutôt l’illusion de celle-ci) va rapidement naître, rapprochant ainsi les deux protagonistes et faussant le test de Turing. Ava est-elle vraiment consciente ou l’a-t-on programmée pour séduire Caleb ? C’est toute la question de cet Ex Machina, du moins en surface, puisqu’il dispose d’un deuxième niveau de lecture fort intéressant.
S’il est assez plaisant, le scénario de la machine qui apprend de l’homme et l’homme de la machine reste peu original. Mais il ravira sans aucun doute les amateurs de robotique et autres aficionados de ce genre très vaste qu’est la science-fiction. Quant aux autres curieux, ils découvriront d’un œil hagard cette intrigue dopée aux révélations et coups de théâtre diablement efficaces. En tout cas, je l’espère.
Le scénario n’est pas le seul bon point du film, sa mise en scène ayant bénéficié d’un soin tout particulier. Moderne et raffinée, celle-ci offre des trucages numériques saisissants ; la gynoïde est criante de réalisme tant elle est bien conçue et animée, au même titre que les autres technologies présentes dans la résidence. Sans oublier de superbes décors naturels, qui, eux, n’ont bénéficié d’aucun traitement numérique. Ce qui implique une opposition presque inévitable entre la nature et la technologie.
Bugs
Si j’encensais plus haut son scénario et la réalisation, Ex Machina n’est pas exempt de défauts. Fort heureusement, la plupart d’entre eux sont triviaux et n’altèrent en rien sa qualité intrinsèque. D’autres, à l’inverse, sont plus regrettables. Nous les appellerons des bugs.
Passées les cinquante premières minutes, par exemple, une rupture de ton s’opère et Ex Machina semble soudain rendre hommage au cinéma d’horreur. Un huis-clos, très peu de personnages, la menace d’un robot dont on ignore les intentions… tout est réuni pour un voyage dans le temps forcé jusque dans les eighties, où ce genre attirait un large public en quête de frissons. Et ça, la partition, bien que magistrale dans ce qu’elle a de plus sombre et lancinant, ne fait que l’appuyer.
Pourtant, Ex Machina n’est pas un film d’horreur. Il y a méprise ! Comprenez simplement qu’il en reprend quelques codes, sans en posséder la substantifique moelle. Et c’est bel et bien cela que je déplore. Qui plus est, Alex Garland récidive puisque le script de Sunshine, réalisé par son mentor Danny Boyle, expérimentait déjà le passage brutal de la science-fiction à l’horreur. Un filou, ce monsieur !
Vous cherchez une œuvre qui référence intelligemment le cinéma d’horreur sans pour autant en faire partie ? Beyond the Black Rainbow. Cet obscur film indépendant de 2010, réalisé par Panos Cosmatos, mérite votre attention. Pas l’ombre d’un androïde ou autre intelligence artificielle en son sein mais ce même postulat du huis-clos que dans Ex Machina ainsi que l’installation d’un irrépressible sentiment de claustrophobie. Sauf qu’ils y sont assumés du début à la fin et non prétextes à une altération inopinée du récit.
Sa conclusion ne vaut, certes, pas celle d’Ex Machina (quoique…), néanmoins Beyond the Black Rainbow vaut le détour. Si, par hasard, il vous intéressait, un No Running In Corridors lui est consacré.
Autre bug : les personnages sont assez caricaturaux. Oscar Isaac incarne un roboticien misanthrope qui, lorsqu’il n’entretient pas son corps, boit beaucoup d’alcool et se réfugie dans la solitude. Il est, sans surprise, l’inventeur génial de l’intelligence artificielle “consciente”. Domhnall Gleeson, quant à lui, est, disons-le, infiniment creux. Tant et si bien qu’on pourra y projeter tout et son contraire. Celui-ci est l’éternel jeune geek célibataire, pressé de poser tout un tas de questions techniques à son supérieur. Son rôle se limite à sa fonction et sa silhouette demeure inhabitée. Alicia Vikander, pour terminer, n’a de cesse de se poser, à l’exemple de tous les robots du cinéma (Roy Batty de Blade Runner, Sonny de I, Robot ou encore David de Prometheus…) des questions existentielles. Ce qui a franchement de quoi agacer. À croire que l’androïde, certes créé à l’image de l’Homme, n’a d’autres préoccupations que l’amour, la mort et la guerre… Bref, le sens de la vie.
Avec ce premier film, Alex Garland semble n’afficher aucune intention de bouleverser la science-fiction, ce qui est tout à son honneur. Toutefois, la modestie a freiné son projet, l’empêchant d’aller plus loin dans ses réflexions. Ex Machina recycle une science-fiction dépassée, la saupoudre de vieilleries horrifiques mais lui applique une imagerie et une partition solides, ne le négligeons pas. Car dans un souci d’objectivité, il est de bon aloi d’accorder autant de crédit au négatif qu’au positif.
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