S’atteler à un film sur l’amour avec une intelligence artificielle après le très réussi ‘Her’ est aussi audacieux que dangereux. Pourtant, ‘Ex Machina’ réussit aisément à se différencier de l’œuvre de Spike Jonze et offre une réflexion passionnante sur les IAs.


Le film tourne principalement autour du test de Turing, test permettant de juger si une machine est dotée ou non d’intelligence artificielle. On pourrait croire que dans le cas de l’androïde Ava, l’épreuve est passée haut-la-main avant même que Caleb n’entre en jeu, tant le programme semble sophistiqué. Mais ce qui intéresse véritablement le test de Turing, c’est la conscience de soi d’une intelligence artificielle. Or, les conditions théoriques de l’expérience limitent les interactions entre testeur et machine au dialogue, et rien ne permet d’assurer que l’IA ne « simule » pas une conscience de soi. C’est là que le film fait preuve d’intelligence, puisqu’il lui faut dépasser le test de Turing pour s’assurer de la réponse. Ainsi le test n’est pas celui que l’on croit (il faut d’ailleurs saluer l’ingéniosité de la véritable expérience de Nathan pour mettre en lumière la conscience d’Ava), et le récit brouille les pistes, autant chez le spectateur que dans l’esprit de Caleb (le formidable passage où Caleb s’ouvre les veines).


Si la fin n’est pas particulièrement originale (rappellant ‘La Piel Que Habito’ et tant d’autres récits où la créature dépasse son créateur), elle a pourtant le mérite de ponctuer d’un effet dramatique incisif la plus grande illusion du film : alors que le spectateur est encouragée à croire que le test orchestré par Nathan consiste à valider la conscience d’Ava par une éventuelle relation amoureuse entre Caleb et l’androïde, la conclusion nous rappelle amèrement que conscience et empathie ne vont pas forcément de pair, et que Nathan était bien un génie.


Trois excellents acteurs portent ce huis-clos déjà enthousiasmant sur le papier, et en premier lieu, le phénoménal Oscar Isaac. Faussement sympathique et hautement inquiétant, le personnage impose son charisme dès le premier plan. A ses côtés, Domhnall Gleeson et Alicia Vikander sont également très bons : nerd naïf et manipulé de toute part pour le premier, androïde sensuel et fascinant pour la deuxième.


Conformément à la mode actuelle des films de science-fiction, la réalisation joue de décors minimalistes, la mise en scène est très épuré, et les plans tirent profit des miroirs, écrans et vitres qui jalonnent les plans. En outre, quelques splendides plans extérieurs viennent égayer ce spectacle, ainsi qu’une scène de danse mémorable par le malaise qu’elle engendre. D’ailleurs, la bande-originale est de très bonne qualité, et très efficace dans les passages dramatiques.


Une réflexion surprenante sur les IAs.


Ava est consciente si et seulement si elle est capable de se servir d’elle-même comme d’un outil (ici séduire) pour atteindre un objectif (ici s’échapper).

Kroakkroqgar
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les meilleurs films A24

Créée

le 22 juil. 2015

Critique lue 416 fois

Kroakkroqgar

Écrit par

Critique lue 416 fois

D'autres avis sur Ex Machina

Ex Machina
Morrinson
7

Non, les androïdes ne rêvent plus de moutons électriques

Ex Machina correspond à l'idée que je me fais d'un film simple, malin, et (surtout) réussi. Les ingrédients sont élémentaires : une idée originale, en phase avec son époque et exploitée habilement du...

le 9 mars 2015

103 j'aime

24

Ex Machina
amjj88
9

Mon coup de coeur Festival

Ex_machina a tout d'un grand. Malgré une thématique presque rédhibitoire tellement elle a été vue et revue ces dernières années, j'ai été enchanté par la manière dont Alex Garland tire son épingle du...

le 2 févr. 2015

92 j'aime

18

Ex Machina
EvyNadler
8

Real robots

Mais que vaut ce Ex Machina réalisé par l'une des nouvelles pointures de la science-fiction, à savoir le bouillonnant d'idées Alex Garland (scénariste sur 28 jours plus tard, Sunshine, Never let me...

le 26 juin 2015

55 j'aime

3

Du même critique

Brazil
Kroakkroqgar
5

Critique de Brazil par Kroakkroqgar

Si Brazil est le chef d'œuvre du réalisateur Terry Gilliam, il ne convaincra pas tout le monde en tant que chef d'œuvre tout court. Tout d'abord, le spectateur est jeté dans une société réglée par...

le 16 avr. 2013

41 j'aime

9

La La Land
Kroakkroqgar
4

Critique de La La Land par Kroakkroqgar

Difficile de dissocier 'La La Land' de sa couverture médiatique : plébiscité par les médias et triomphe absolu aux Golden Globes, la comédie musicale surfe sur la vague qu'elle a cherché à provoquer...

le 25 janv. 2017

37 j'aime

3

Vidéodrome
Kroakkroqgar
5

Critique de Vidéodrome par Kroakkroqgar

‘Videodrome’ traite du rapport des hommes à la télévision, comme ‘ExistenZ’ le fera pour les jeux-vidéos. Seulement, le scénario est tellement obscur que le propos en devient confus. Entre un...

le 2 août 2013

34 j'aime