Ce qui me passionne le plus dans le cinéma brillant de Wes ANDERSON, c’est ce discours permanent qu’il installe entre les codes de la comédie, les ingrédients du burlesque, un univers coloré et des thèmes d’une grande profondeur, une mélancolie palpable. L’ensemble de sa filmographie est traversée par cette dichotomie. Le paquet cadeau est lumineux, mais le présent est sombre. Un adolescent créatif sera le prétexte pour évoquer la honte et le rejet de sa véritable appartenance sociale, Rushmore (1999). Les pères démissionnaires ou inaptes seront traités à travers les aventures d’une équipe joviale ou les facéties d’une famille, La Vie aquatique (2003), La Famille Tenenbaum (2002). La jalousie et l’ambition dévorante délétère traitée à travers un voyage initiatique et solaire, A bord du Darjeeling Limited (2007). Les déchirements familiaux motivés par l’appât du gain sont le thème central d’une comédie enlevée et rythmée, The Grand Budapest Hotel (2013). Une belle histoire d’amour enfantine se verra contrariée par l’intolérance des adultes, Moonrise Kingdom (2012) et lorsqu’il veut dénoncer plus généralement les problèmes qui empoisonnent nos sociétés modernes, il le fait sous le prisme a priori enfantin du cinéma d’animation.
Fantastic Mr. Fox (2009), recèle en lui toute cette opposition, en choisissant de ne pas céder aux sirènes du tout numérique pour préférer à des effets spéciaux, sans doute plus efficaces à retranscrire l’impression de réel, une technique artisanale, Wes Anderson signifie son amour pour le travail de mise en scène. Tout comme le metteur en scène du théâtre devra penser son décor et la scène où il fera évoluer les personnages qui seront les vecteur de son propos et de son message, il privilégie les cadres travaillés, le souci des détails, tout est structuré, tout est texturé et l’animation en stop motion, héritée d’un cinéma plus ancien finalement bien plus imaginatif pour retranscrire la vision d’un réalisateur au plus près, habille l’ensemble d’une impression de maîtrise totale de cet art.
Prenant son matériau de base chez l’un des auteurs majeurs de la littérature enfantine britannique, il y insuffle à travers ce parti pris et cette direction artistique tout le respect qu’il lui porte, convoquant les fantômes des grands noms de la bande dessinée tout comme les pionniers du cartoon ou les grands noms de l’illustration.
Mais comme je l’explique depuis le début de cette avis et à travers tous ceux que j’ai pu faire de ses autres œuvres, le vernis joli qui invite d’abord à l’abandon et à la rêverie comme un conte ou une comédie peuvent le faire, ouvre rapidement un deuxième niveau de lecture où l’humour et la légèreté laissent la place à une réflexion sur la parole donnée, la pression faite aux enfants, sa place dans la société entre le rôle qu’on y tient pour se conformer aux normes et sa véritable identité, les conséquences de ses choix et des actes sur ses proches ou sa communauté.
Le film nous pose aussi la question des limites ou de ce qu’on est prêt à sacrifier pour conserver au mieux un statu quo au pire une victoire bien amère.
L’animation est décidément un mode d’expression qui sied bien à notre réalisateur, qui rusé ou roublard comme le renard de son film, n’a eu de cesse de nous renvoyer le reflet de nos déprimes et de nos questions intimes et psychanalytiques déformées par le prisme de la légèreté apparente, la politesse du désespoir et ce film pourra être un bon départ de discussions philosophiques sur les réponses profondes de notre rôle et de notre place dans la vie.
Toutefois quelques longueurs, certains personnages manquant de caractérisation, font que je lui préfère nettement L Île aux Chiens (2018) que je trouve plus abouti et qui développe des thèmes auxquels je suis plus sensible, loin d’être désagréable globalement réussi, la septième étoile n'est pas loin.