Le retour de Marlene
Cataloguée ‘poison du box-office’ dans la seconde moitié des années 30, Marlene Dietrich n’avait plus tourné depuis 1937, lorsqu’elle consent à réduire son cachet pour accepter un rôle dans « Destry Rides Again » en 1939. Le film, un western, genre auquel elle ne s’était encore jamais essayée, est réalisé par George Marshall, et lui fait partager l’affiche avec une autre légende du 7e art : l’immense James Stewart.
Dans la ville sans foi ni loi de Bottleneck, la torride chanteuse ‘Frenchy’ est la reine du saloon, le fantasme de tous les hommes et le cauchemar de toutes les femmes. Et lorsque sa voix grave et voluptueuse retentit entre les tables et les colonnades du troquet c’est toute l’audience qui est excitée.
Outre cette activité, fort agréable pour son public, la belle Frenchy aide aussi, à l’occasion, son patron, Kent, à jouer aux cartes. Fin roublard, celui-ci sait savamment perdre juste assez pour convaincre ses adversaires de parier jusqu’à leurs terres… c’est le moment choisi par une chanteuse aux doigts habiles, mais à la maladresse proverbiale, pour servir le café à ces messieurs.
Naturellement, cette méthode un peu fourbe n’est pas au goût de tous. La bonne Bottleneck a bien besoin d’un shérif, d’un vrai, pour mettre au pas cette bande de fripouilles, songent ses habitants. Il est décidé de faire appel au légendaire Tom Destry, un justicier dont la réputation n’est plus à faire.
Tom Destry contre Kent (Poker)
Qu’attend-on au fond d’un western ? En pensant ‘western’, l’on pense tout de suite à ces duels épiques, sous le soleil de plomb du Texas ou de l’Arizona, l’affrontement final entre deux personnages, une bataille qui se réduit finalement au combat du ‘bien’ contre le ‘mal’, en dépit de toutes les nuances que peuvent avoir les protagonistes.
Le western, c’est aussi la promesse de filmer les grands espaces, parcourus à dos de cheval, sur la banquette inconfortable d’une diligence, ou bien encore au chaud dans un compartiment de train, alors que se profile à l’horizon les silhouettes imposantes des monolithes de Monument Valley.
Le western, c’est aussi et surtout sa galerie de personnages iconiques, associés à leurs lieux de prédilection : chanteuses, danseuses et joueurs au saloon, barmen moqueurs, cowboys esseulés, desperados aux faces burinées, vétérans de la guerre – ou déserteurs – shérifs, maires corrompus… Vestiges idéalisés, héros et vilains romanesques d’une époque révolue.
« Destry Rides Again » (un titre original, par ailleurs plus opportun que cet affreux choix français) est tout cela, et bien plus encore. Le bien nommé (George) Marshall nous emmène dans son univers crédible, où la petite ville de Bottleneck possède cette atmosphère propre aux westerns. Décors somptueux, costumes impeccables, personnages hauts en couleurs, rien ne manque, l’alcool coule à flot et les balles fusent.
C’est ce qui fait d’emblée le charme de ce film, sa forte capacité d’immersion du spectateur dans l’ambiance chaude et festive du saloon de Bottleneck.
Finalement, l’histoire se révèle très simple : un ‘bon’, figure classique de justicier marginal, est appelé à la rescousse par le brave peuple d’une ville opprimée par des ‘mauvais’, qui règnent grâce à la violence. Néanmoins, cela fonctionne, et « Destry Rides Again » se démarque par son originalité, et sa faculté à mêler efficacement genres et registres pour notre plus grand plaisir.
Pourquoi il faut voir « Destry Rides Again »
Sans me risquer à dévoiler plus avant les tenants et aboutissants de l’histoire, que je vous laisse le soin (et la chance) de découvrir, je vais, au moyen d’une figure de style bien aimée de certains de nos hommes d’état, énumérer quelques-unes des raisons qui font du film de Marshall une véritable pépite qui gagne à être connue.
Il faut voir Destry si l’on aime les westerns, car le film en possède tous les ingrédients, et nous balade de l’atmosphère enfumée du saloon au ranch voisin, en passant par la grand-rue poussiéreuse et le bureau délabré du shérif.
Il faut voir Destry pour sa galerie de seconds rôles, tous extraordinaires : un ivrogne mélomane, devenu, par la force des choses, un homme de loi. Un mari russe qui peinant à avoir le dernier mot à la maison, cherche à se faire cowboy.
Il faut voir Destry parce que « Lucky Luke contre Pat Poker » est tout de même l’un des très bons albums de la série, et qu’il est clairement inspiré de ce film.
Il faut voir Destry pour toutes ses scènes humoristiques, drôles, fraîches et bienvenues, qui, loin de nuire à la narration, lui donnent une saveur supplémentaire toute particulière.
Il faut voir Destry car James Stewart est l’un des plus grands acteurs de l’histoire du cinéma, et qu’il le prouve une nouvelle fois. Le bon Jimmy transpire la classe par tous les pores de sa peau, interprétant ce Tom Destry avec toute la candeur, l’intelligence, l’impertinence et la dignité nécessaires à pleinement rendre ce personnage merveilleux à l’écran. Pour ne rien gâcher, il parsème ici ses dialogues d'anecdotes à trois francs six sous, mais toujours extrêmement savoureuses.
Il faut voir Destry pour l’une des meilleures ‘catfight’ de l’histoire, un crêpage de chignon aussi long que mémorable, une bagarre aussi ridicule que géniale, qui dure peut-être dix minutes, mais au terme de laquelle nous serions presqu’aussi enclins que ses spectateurs à en redemander.
Il faut voir Destry parce que même si le ton du film est plutôt léger, Marshall réussit néanmoins à nous proposer des thèmes sérieux et intelligents, et que son final de haute volée est chargé d’une émotion réelle.
Enfin, il faut voir Destry car le premier rôle féminin est tenu par l’immense Marlene Dietrich, qui, non contente d’être aussi séduisante qu’à l’accoutumée, nous propose ici un rôle de composition, des chansons volontairement parodiques de ses rôles de cabaret d’antan (« L’Ange Bleu », notamment), et parce que, comme d’habitude, chaque scène avec elle est une merveille.