Le film danois Festen tire toute sa puissance du huis clos. C’est en effet dans une immense bâtisse loin du monde que nous enferme l’histoire, dans l’intimité du cercle de la famille Klingenfelt, réunie pour l’occasion des 60 ans du bien-aimé patriarche Helge (Henning Moritzen). Il est vrai que le film s’ouvre sur l’extérieur, sur une route de campagne le long de laquelle marche Christian (Ulrich Thomsen). Mais cette route est perdue dans un paysage désolé et l’homme est seul, symbole avant-coureur du long chemin solitaire qui sera le sien.
Le film Festen est un huis-clos donc, dans lequel intimité et isolement sont les thèmes principaux. Hormis les parents, Helge et Else (Birthe Neumann), ainsi que leurs trois enfants, Christian, Martha (Paprika Steen) et Michael (Thomas Bo Larsen), la majorité des membres de la (large) famille n’est pas individualisée, et forme une masse – souvent inquiétante. Nous aussi, en tant que spectateurs-caméra, nous sommes souvent mêlés à cette masse, comme si nous étions un membre de la famille. Tout est d’ailleurs fait pour nous donner l’impression que l’on regarde un film de famille dont nous serions les réalisateurs : la caméra, tenue main, est très proche des personnages, filme en gros plans, s’accroche à des détails comme le ferait un œil, tremble, se met de travers, le tout accentué par la qualité de caméscope de l’image qui produit un effet maladroit d’amateur. Une maladresse qui montre toute l’habileté de Thomas Vinterbeg, car par le biais de ce vérisme troublant notre immersion dans l’image est totale. Notre malaise est alors d’autant plus intense lorsque Christian dénonce l’inceste du père, comme si l’intimité nous rendait plus proches, plus sensibles à une horreur commise au sein de notre propre famille.
Lorsque cette vérité éclate, l’harmonie de l’assemblée ne se brise pas tout de suite. Et c’est le plus effrayant. Elle fait au contraire bloc contre le personnage de Christian : ne rien dire, ne rien comprendre, faire semblant. Entre alors en jeu la seconde acception du mot « huis clos », puisque le film se transforme en un douloureux réquisitoire. Festen explore avec finesse les rapports de force et le basculement du pouvoir d’un camp à un autre, modelés par les discours et la persévérance. Il effleure également d’autres problèmes comme le racisme ou la misogynie, faisant de la famille une micro société monstrueuse. Construit comme une pièce de théâtre, le huis clos avec son unité de lieu, de temps et d’action, sied parfaitement à la tragédie qu’il décrit. A en croire les règles énoncées par le collectif Dogme 95 dont Festen est le premier manifeste, les partis-pris esthétiques du film sont directement inspirés du sixième art. Le collectif postule entre autres que « les films ne doivent pas contenir d’actions superficielles » ou que « toute aliénation temporelle est proscrite ». On ne s’étonne alors pas que Festen ait été adapté en 2018 pour le théâtre par le réalisateur et Morgens Rukov. Une réussite !