Un autrichien, ayant passé l' essentielle de sa vie et sa carrière aux EU où il attint un certain d'estime et qui se déclara fini pour le cinéma depuis 1935, s'en va tourner un film au Japon au début des années 50, s'immergeant onze mois durant en ce pays qui lui offre acteurs, techniciens, et dit-on une liberté totale pour relater cette histoire vraie de soldats japonais échoués sur une île perdue vers la fin de la guerre, prisonniers malgré eux revenus miraculeusement au pays en 1951 .
Il réalise une sorte de premier film parlant après la lettre ( affirmation du critique Claude Ollier ) , composé d'images noir et blanc d'une île volcanique entièrement reconstituée en studio.
Les acteurs jouent, empreint de naïveté et de maladresses sous les indications de ce vieil occidental étrange, leurs dialogues en japonais couverts par la voix off de Sternberg lui- même, commentant avec le détachement souverain d'un dieu omniscient la vie dans cette île mythologique, anticipant ce qui advient comme s'il le provoquait lui-même. Tour à tour péremptoire, incisif, désabusé devant ce tableau d'humains sombrant sous leurs instincts, entre domination et soumission, désir de possession et survie.
Il profite de son décalage avec la culture japonaise dont il se sert plus qu'il cherche à la comprendre pour esquisser un portrait anthropologique de l'espèce humaine, revenue à un état de nature. Argument classique des philosophes des Lumières, Diderot et compagnie...
Une année après la sortie du film sur les écrans , l' écrivain britannique William Golding publiait Sa majesté des mouches conte philosophique à la trame similaire si on excepte la diablesse Femme.
Sternberg se vanta en d'avoir créé le mythe Dietrich, au début des années 30 par son seul talent de mise en scène ( les scénarios facilement oubliables). A-t-il voulu rejouer artistiquement cet exploit ou se moque -t-il des hommes et de lui-même à travers cette "reine des abeilles" aussi inconsistante que sensuellement filmée?
Le parfum de scandale de cette histoire qui renversa le Japon quelques années après sa défaite, attira le cinéaste, se fichant totalement de sa réalité. Il semble prendre un malin plaisir à en faire sa création, créature, rejouant ce jeu de la possession entre metteur en scène et actrices. sauf que là c'est à sens unique, la créature n existe pas au delà de son corps, elle ne possède pas le cinéaste et nous amuse avec .
Déjouant les attentes de tous sauf les siennes, son film fut un échec commercial tragique*. Il reste une énigme traversée de fulgurances pour les cinéphiles qui le découvrent.
Cette phrase de Sternberg** reste me hanter : pourquoi passe-t-on autant de temps à vouloir obtenir l'estime des autres et aussi peu à vouloir cultiver la sienne?
- par orgueil(?) le cinéaste proclama qu'il était son meilleur film
** citation approximative.