Si l'hégémonie du MCU sur le cinéma de super héros est indiscutable, laissant peu de place à ses concurrents y compris le pourtant à mon sens plus intéressant "DC Comics universe" ou peu importe son appellation officielle, il est néanmoins tout aussi indiscutable que la formule s'essouffle, est, hormis de très rares occasions, sans grand intérêt, plastiquement assez médiocre, scénaristiquement navrant et peine à se renouveler ou à prendre des risques en sortant des codes du genre, quitte à bousculer les fans ou à créer le "bad buzz" en raison d'une prise de liberté anodine sur le média adapté, mais considérée comme une insulte, une hérésie par la cohorte des adorateurs.
Devant cette constatation, dont l'évidence n'a pas encore été perçue par les aficionados précités, bien que l'accueil plus que froid, pour ne pas dire hostile, reçu par les dernières sorties MCU/DC y compris par leur public cœur, laisserait penser qu'enfin ils ont ouvert les yeux et qu'enfin le système touche à sa fin, on pourrait être tenté de s'abstenir de découvrir d'autres cinéma super héroïques.
Ce serait dommage, car on raterait des propositions qui en dépits de moyens nettement inférieurs, d'une publicité beaucoup plus discrète et d'une réputation inexistante, parviennent à offrir des alternatives a minima originales et culotées Comment je suis devenu super-héros (2019), injustement ignorées mais pourtant très joli Vincent n'a pas d'écailles (2014) ou carrément proches de la perfection comme c'est le cas pour le film qui nous intéresse ici et dont il est temps de parler après cette trop longue introduction.
Dans la Rome sous la coupe réglée des nazis et de ses complices fascistes alors au pouvoir durant la seconde guerre mondiale, les 4 membres d'un petit cirque tentent de survivre et de proposer au public des parenthèses fantastiques, magiques, poétiques grâce à des représentations durant lesquelles nos 4 protagonistes font étalage pour la joie des petits et des grands de leurs talents, particularités et autres pouvoirs extraordinaires. Un homme loup, un homme magnétique, un autre capable d'interactions complexes avec les insectes et une jeune femme électrique, tous sous la protection de la figure paternelle d'Israël le directeur et propriétaire du cirque. Bien vite l'influence du Freaks - La monstrueuse parade (1931) de Tod BROWNING transparait, sans que la figure tutélaire de ce monument du septième art ne vampirise le film de Gabriele MAINETTI.
Hélas, la cruelle réalité vient rapidement se rappeler à nous et à nos amis, dès la fin de la brillante scène d'introduction, brillante tant par sa beauté plastique que par sa propension à installer un univers et des personnages immédiatement caractérisés, auxquels on parvient très vite à s'attacher à comprendre leurs enjeux, leurs caractères et leurs motivations, ainsi que leurs rapports aux autres, à l'altérité, à la norme. Résultat alors que nous sommes devant un monde original, issu d'aucune franchise ou déjà travaillé dans le passé, nous y croyons tout de suite, et vous observerez que dans le cinéma contemporain ce n'est pas, loin s'en faut, un aspect systématiquement travaillé et présent.
La destruction quasi totale de leur cirque suite à un bombardement jette nos 5 personnages dans la rue, et alors que germe le projet d'un exil aux Etats-Unis, Israël est pris dans une rafle qui conduira ses 4 protégés à s'unir tant pour leur survie dans un monde encore plus hostile qu'il ne l'est habituellement envers des êtres considérés comme des monstres en raison de leurs particularités, que dans l'espoir de sauver leur mentor et protecteur.
La figure obligée dans le genre du super héros, du super vilain est ici incarnée par le directeur artistique d'un autre cirque aux moyens biens supérieurs au leur, un allemand convaincu par l'idéologie nazie et doté lui aussi de particularités qui lui permettent notamment de voir l'avenir et de jouer au piano des pièces alors inexistantes, la reprise du fort à propos "creep" de Radiohead constituant une scène d'une rare intensité et d'une folle originalité. Néanmoins les fondations de l'idéologie du troisième Reich étant liées à l'eugénisme et à l'être parfait, l'être pur, notre allemand a subi les violences du dogme et ne doit sa survie qu'au fait que son frère soit un officier haut placé du régime totalitaire. On aurait pu penser que ce rejet, cet exil forcé, aient conduit cet homme à s'opposer à l'occupant, mais au contraire cela a considérablement augmenté son désir d'épouser la cause, se donnant alors pour mission de trouver tous les humains nantis de pouvoirs inhumains et autres différences afin de constituer avec les meilleurs d'entre eux une armée parallèle au service du nazisme et de l'avènement de l'être suprême, le super aryen.
C'est dans ce contexte que nos 4 héros qui s'ignorent devront évoluer, sous la menace, isolés, avec toujours l'objectif de retrouver Israël.
Je l'ai déjà évoqué succinctement, mais le film brille par une direction artistique fabuleuse, il s'appuie sur un scénario travaillé, précis, sa mise en scène est à la fois maitrisée et inventive, multipliant les effets, sans jamais tomber dans une démonstration de force stérile, tout est mesuré, le fantastique et l'incroyable croisent avec le naturalisme sans qu'à aucun moment le spectateur ne parvienne à clairement en dessiner les contours. Le casting est parfait et que ce soit les personnages principaux ou les secondaires, chacun s'intègre avec précision et jouit du talent indéniable de son acteur.
Hors mis les termes évidents précédemment développés et communs dès lors qu'on prend pour thèmes la monstruosité et la différence, j'ai également vu en sous texte, un autre thème celui du militantisme des minorités. C'est en particulier la séquence, tout aussi réussie que le reste du film, avec ce groupe de résistants constitués exclusivement d'estropiés et autres difformes qui m'y a fait penser, n'obéissant qu'à leur désir d'émancipation, ils ont pris les armes et n'attendent pas des autres, des normaux, de la majorité qu'ils viennent dans un hypothétique élan de générosité leur octroyer ceux à quoi ils ont droit de fait. C'est la lutte des afro-américains pour leurs droits, celle des homosexuels pour les leurs, mais aussi les associations de personnes handicapées pour l'égalité réelle dans un monde validiste, par ce biais, le film et son réalisateur tirent ce faisant un lien évident avec notre société moderne qui depuis longtemps n'avait pas été à la fois le théâtre d'autant de mouvements militants menés par diverses minorités que le creuset d'une opposition rétrograde et réactionnaire d'une partie de la population.
Artistique, poétique, politique, brillant et passionnant, voilà le cinéma de super héros que nous spectateurs sommes en droit d'exiger.