Premier long-métrage horrifique de David Cronenberg qui a su intéresser un public international, Frissons a quelque chose de profondément sympathique : c'est son concept qui fait tout son charme. Mélange étrange entre Body Snatchers et La Nuit des morts-vivants, il amène au registre du zombie une dimension sexuelle que reprendra, peu de temps après, le mythique Alien, avec plus de brio.
Non content de montrer la voie à ce qui sera le film culte d'une génération, il se permet aussi de nous présenter des modèles de parasite représentés sans le sou mais avec talent, et dont la forme phallique n'a d'égal que la répugnance de leur aspect d'étron. Il y avait déjà du viscéral dans la décomposition du corps selon Cronenberg; outre l'évidente violence plus ou moins suggérée sans jamais qu'elle soit gratuite ou forcée, sa manière de filmer la destruction progressive de l'homme (et de la société en parallèle) participe en grande partie à l'importante tension présente tout du long.
S'il est si efficace, c'est aussi parce qu'il prend le temps de poser son cadre, ses personnages; on sait leur profession, les liens qu'ils entretiennent, les enjeux de cette fin du monde programmée. Directement, l'intrigue nous touche et l'on peut s'attacher aux personnages : que ce soit le médecin, l'infirmière ou le couple qui les recueille en milieu de film, la présence à l'écran des personnages est suffisamment bien gérée pour qu'ils aient tous leur place dans l'intrigue, à nos yeux.
On pourra cependant lui reprocher de trop s'intéresser à eux, et pas assez à son décors. On peine à se repérer dans cette suite ininterrompue de corridors et murs de même couleur, où les seuls lieux repérables sont l'entrée surveillée et le parking de dangers. Ainsi, si la tension vient, c'est qu'elle vient principalement des acteurs et des maquillages, de leur manière de se mouvoir et de l'attachement qu'on a pour les figures survivantes. N'aurait-il pas été préférable de donner plus de corps à cet immeuble infernal, de lui donner vie, à la manière d'un Kubrick ou d'un McTiernan?
Cela n'a jamais été le point fort de Cronenberg; pour son premier film, il est logique qu'il ne s'en soit pas sorti, le résultat final restant tout de même admirable. Parce qu'il développait déjà, en plus de son travail sur le corps (la scène d'introduction montre parfaitement son obsession), une tension terrible; on sort difficilement de l'expérience, les séquences d'ennui n'étant jamais au rendez-vous, et Cronenberg signant un travail de mise en scène entre l'intimiste et le froid.
Et s'il s'entoure d'acteurs talentueux, c'est avec brio que le réalisateur manie son faible budget : le résultat est simple et plaisant, Frissons est un petit film d'horreur ambition par rapport à ses moyens, qui opère un mélange intéressant entre perversion sexuelle, aliénation de l'homme et trahison amoureuse. Choc s'il en est, c'est un excellent divertissement doublé d'une réflexion poussée encore d'actualité.
Préparez-vous à son climax.