Bien qu’immédiatement charmé par l’audacieuse proposition que l’on venait de me faire, j’eus l’immédiat pressentiment, à l’issue de ce Furiosa : Une saga Mad Max, que le film se heurterait à une forme de rejet de la part de ceux qui avaient pourtant porté aux nues l’opus précédent il y a maintenant presque dix ans. Sans vouloir me vanter, je constate toutefois que mon intuition n’était guère infondée, puisque nombre de voix n’ont de cesse de clamer depuis la sortie en salles de sa dernière réalisation que George Miller, désireux de renouveler son approche du film d’action postapocalyptique, s’est malencontreusement fourvoyé dans une intrigue au souffle épique absent, car trop dilué du point de vue de la narration, le tout saupoudré d’effets spéciaux numériques à la laideur manifeste. Si je ne m’attarderai pas sur ce dernier point – trop technique au vu de mes faibles connaissances en la matière -, le premier m’intéresse toutefois au plus haut degré, en ce qu’il entre justement en résonnance avec le propos esquissé au cours du long-métrage.


Reconnaissons tout de même que rien n’est ici fait pour contenter ceux qui, ébahis par la déflagration que représentait Fury Road, seraient venus trouver dans ce préquel une dose d’adrénaline à la mesure de celle procurée par l’illustre modèle. A la brutalité ininterrompue, Miller substitue en effet une alternance de scènes d’action pures et de moments de narration autrement plus posés, dont la vocation est d’épaissir à la fois la personnalité des personnages et l’univers qui sert de cadre au récit. Si j’admets volontiers que le premier point ne convainc pas vraiment, du fait d’une écriture maladroite et d’enjeux manquant cruellement de développement et d’originalité, j’admets avoir été satisfait d’en apprendre davantage sur le fonctionnement politico-économique du Wasteland, encadré par les trois pôles majeurs que sont Bullet farm, The Citadel et Gastown, respectivement responsables de l’approvisionnement en armes, en vivres et en carburant. Certes basique, cette façon d’accorder à chaque lieu une fonction propre au sein de cet univers fictif permet de surcroît, sur le plan esthétique, d’ancrer chacun des points de bascule du récit dans un espace identifié, concret, borné, opposés en cela à l’aridité à perte de vue caractéristique du désert qui règne partout ailleurs. De la même manière, l’action s’en trouve bonifiée, puisque désormais aux prises avec des environnements organiques dont la destruction progressive jouissive s’accompagne d’une exploitation habile et spectaculaire de la verticalité ou de l’exiguïté que ne permettaient pas tant les routes des précédents épisodes. Les afficionados de la première heure trouveront malgré tout un motif de satisfaction certain dans la traditionnelle course-poursuite de milieu de film, qui n’est certes pas le seule mais éclipse par la maestria avec laquelle elle est mise en scène toutes les autres séquences d’action qui parsèment ces 2h20 et quelques, aussi réussies puissent-elles être.


Comme évoqué plus haut, ces multiples moments de bravoure n’ont malheureusement pas suffi pour contenter une frange non négligeable du public ciblé par le film, lequel n’a pas manqué de regretter explicitement que Furiosa ne fût pas construit selon la même logique échevelée que son illustre prédécesseur. Sans même s’appesantir sur la faiblesse, voire la bêtise d’un tel raisonnement, il est tout à fait intéressant de remarquer que le cinéaste lui-même semble avoir anticipé les griefs qui allaient lui être adressés, tant son propos colle parfaitement avec la réception dont son œuvre a effectivement eu à pâtir. Car malgré la maladresse avec laquelle est parfois orchestrée la vengeance ourdie par l’héroïne envers celui qui lui a dérobé tout à la fois sa mère, son lieu de vie et son enfance au sens large, Miller, au terme de son périple, décide sciemment d’à nouveau déjouer ce que l’on serait en droit d’attendre d’un film d’action ordinaire en remplaçant le traditionnel face-à-face final par une simple discussion qui, quoiqu’un peu trop explicite à mon goût, porte justement sur la façon qu’ont les êtres à chérir des éléments de leur passé au point d’en faire des fétiches, des source d’idolâtrie ; tout se trouve en somme résumé avec intelligence par l’ours en peluche transporté par Dementus, exemple typique de l’objet dénué de valeur en soi et dont l’attachement qu’on lui porte ne repose que sur une affection enfantine, pour ne pas dire puérile. A la demande fantaisiste formulée par l’héroïne que lui soit rendu tout ce dont elle a irrémédiablement été privée, son interlocuteur répond ainsi avec une froideur lucide qu’il est trop tard pour s’appesantir sur l’ampleur de la perte, puisque seule compte à partir de maintenant la manière dont il va s’agir d’investir les temps à venir.


On saisit alors à quel point Miller a pris des risques en choisissant ouvertement d’aller à rebours du sentiment aujourd’hui hégémonique que constitue la nostalgie, qu’elle soit fièrement brandie en étendard par les vieux briscards blasés par un paysage audiovisuel en perpétuelle déréliction ou affectée par une jeune génération chez qui l’industrie hollywoodienne, incapable de mettre sur pieds de nouvelles mythologies, a cru préférable de capitaliser sur le souvenir immémorial d’un temps (années 1970, 1980 ou 1990, au choix selon les modes du moment) qu’il suffirait d’invoquer afin d’en égaler la grandeur. Aux premiers, Miller répond ainsi sèchement, mais sans cynisme, que l’amour sincère qu’ils portent aux précédents opus de la saga ne doit en aucun cas aboutir à une forme d’autosuffisance qui les conduirait, par la transformation desdites œuvres en objets de culte, à demeurer aveugles à tout type de nouveauté, au point d’en venir à réclamer en gémissant le retour d’une époque dorée qui, si tant est qu’elle ait existé, ne reviendra plus. Aux seconds, l’épilogue apporte un message d’espoir paradoxal dans un cadre apparemment aussi dénué de motifs de réjouissance, en les enjoignant à mettre de côté des fétiches que l’on a tenté de leur mettre entre les mains pour s’atteler sans tarder à l’édification de mythes dont notre époque est notoirement dépourvue, et ce en dépit des sacrifices qu’une telle entreprise représente. Cette façon de présenter le sacrifice d’une partie de soi comme corolaire de la création dresse de manière tout à fait étonnante un pont entre George Miller et Christopher Nolan, dont Le Prestige, il y a bientôt deux décennies de cela, établissait un constat similaire quant au statut de la fiction à l’époque contemporaine.


Que l’on ne croie pourtant pas que je cherche au travers de ces quelques paragraphes à fustiger sur un ton narquois celles et ceux qui, désireux de trouver dans Furiosa une bouffée d’oxygène semblable à celle qu’avait en son temps procuré Fury Road au sein d’un paysage audiovisuel simultanément miné par une paresse créatrice flagrante et la volonté assumée d’en finir avec toute forme d’imaginaire, ont été décontenancés par la surprenante alternative à laquelle ils se sont trouvés confrontés. Au contraire, mon seul désir serait qu’ils cessent de reprocher au film de ne pas être ce qu’ils auraient aimé qu’il fût, afin de réellement prêter attention à ce qui s’apparente à un appel sublime poussé au beau milieu du désert par un créateur octogénaire à qui on saura gré de n’avoir pas sombré dans un nihilisme décadentiste de bas-étage, mais plutôt de s’être échiné à ouvrir la voie à d’éventuels continuateurs, désormais en possession des clés du royaume en même temps que de l’infinie superficie sur laquelle il s’étend.

Créée

le 28 mai 2024

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Louis Perquin

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